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lorsque, le 9 juin 1873, le progressiste Loewe avait réclamé la suppression des 17 500 thalers affectés à l’entretien d’un poste diplomatique auprès du Saint-Siège, Bismarck avait opposé son veto. Il déclarait que, si le poste était vide, c’était de peur que le représentant de l’Empereur ne fût exposé, là-bas, à entendre un langage inacceptable ; mais quant au poste même, il désirait le maintenir, car les choses pouvaient changer : « Je ne voudrais donc pas, expliquait-il, couper un fil qui peut se renouer, ni rejeter absolument parmi les choses mortes un contact qui, pour le moment, n’existe plus en pratique. Eventuellement, l’existence de ce poste offre un moyen d’entente, grâce auquel aucune des parties n’aurait à dire qu’elle fait le premier pas. » Il soutenait des lois qui réglementaient sans Rome la vie de l’Eglise prussienne ; et s’il avait eu là-bas un ambassadeur, il ne l’aurait autorisé qu’à expliquer ces lois, mais non point à accepter de les discuter ; la causerie, ainsi, — rappelons-nous ce que naguère il disait et faisait dire au sujet de la mission du cardinal Hohenlohe, — se serait résumée dans un échange de constatations et n’aurait jamais affecté le caractère de pourparlers. Mais qu’un jour ou l’autre ce genre de causerie, tel quel, pût s’engager utilement, Bismarck persistait à le croire, et il tenait d’autant plus à ne point perdre Rome de vue, qu’il se brouillait plus formellement avec l’épiscopat. Au-delà de la Rome d’aujourd’hui, il gardait l’espoir d’influer sur la Rome de demain. Sans doute, il cachait au Rechstag les ordres donnés à ses diplomates, et sa bonne foi laissait à désirer lorsqu’il promettait à Auguste Reichensperger de ne pas s’ingérer dans le conclave ; mais il corrigeait tout de suite cette fallacieuse promesse par des vœux en faveur de l’élection d’un pape modéré, et déclarait à l’avance qu’il examinerait la légitimité des opérations électorales, afin de s’assurer si l’élu aurait le droit d’exercer en Allemagne les prérogatives de Pontife romain.

Tels étaient les soucis que l’Europe devait partager et docilement servir. Bismarck en venait à juger les nations et les ministères d’après l’idée qu’il se faisait de leurs dispositions à l’endroit du Vatican. Si la chute de Thiers l’émut, c’est parce qu’il craignait que les hommes de Droite, amenés au pouvoir par le 24 mai, et que le roi de France, auquel peut-être ils allaient frayer les voies, n’intervinssent en Italie pour Pie IX, à l’instigation des Jésuites : de là l’inquiétude que Guillaume