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saurait courber ou briser la superbe romaine. La Gazette de Spener faisait prévoir des mesures qui permettraient d’exiler les évêques. L’affolement de cette presse inspirait à Falk lui-même sa circulaire du 24 octobre, par laquelle il édictait de nouvelles sévérités. Il ordonnait que chaque délit fût l’objet d’une instruction judiciaire contre l’évêque ; qu’on redoublât de rigueur à l’égard des prêtres qui continueraient d’exercer illégalement leurs fonctions ; qu’on les poursuivît pour chaque acte du culte, et qu’ainsi des pénalités multipliées s’abattissent incessamment sur leurs têtes ; et qu’enfin, s’ils étaient insolvables, on les emprisonnât. « Est-il plus périlleux, disait à Hohenlohe le théologien Gelzer, de transformer les évêques en martyrs, ou de relâcher la rigueur des lois ? C’est difficile à décider ! » Mais Falk ignorait ces incertitudes, il comptait sur la vertu de la loi et sur la vertu de la prison. « Il n’y a pas à reculer avec effroi, écrivait-il à ses agens ; au contraire, pour le maintien de l’ordre légal, il est tout à fait souhaitable de faire sentir aux prêtres la pleine vigueur de la loi. » Trois jours après, Ledochowski, déjà débiteur de 16000 thalers d’amende, reçut la visite des huissiers du Roi ; l’État, dans son palais, saisit de quoi se payer. À la période des jugemens succédait celle des exécutions : les protestations de Pie IX recueillaient cette nouvelle riposte.


VI

De très haut, de très loin, Bismarck assistait à l’application des lois de Mai ; son imagination s’envolait ailleurs, et son besoin de dominer l’Europe élargissait et aggravait la portée du conflit. Lorsque la Correspondance de Genève, dès le 21 mars 1873, l’avait accusé de vouloir soulever toute l’Europe contre Rome, et d’organiser contre le Pape une sorte de blocus continental, elle avait deviné très exactement la pensée du chancelier. Le publiciste officieux de Bismarck, Constantin Roesler, demandait dans les Grenzboten s’il n’y aurait pas à poursuivre la lutte sur le terrain international : « Ne devrait-on pas, écrivait-il, demander à la famille européenne si elle consent à reconnaître le Pape comme seul représentant de la foi chrétienne ? Il y aurait lieu d’enlever à la papauté la situation qu’elle a usurpée, de représentante unique des prétentions du christianisme dans la société européenne. »