Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

délinquante que Dieu attendait, que l’évêque commandait, que les fidèles suivaient. Ainsi se dessinaient, sur un horizon tout prochain, comme deux lignes parallèles dont on ne voyait pas le terme, une longue série d’infractions toujours plus nombreuses, et une longue série de châtimens, toujours plus acharnés ; et pour que cessât de se prolonger l’une ou l’autre de ces avenues qui menaient à l’abîme, il faudrait que l’Eglise cédât ou bien que l’Etat capitulât.

Ledochowski, archevêque de Posen, et Kœtt, évêque de Fulda, ouvrirent, à la date du 28 août 1873, 1e cortège des condamnés : le premier, prenant un vicaire, en avait fait un prévôt ; le second, d’un professeur de pensionnat, avait fait un vicaire, et d’un vicaire avait fait un curé. Trois délits en tout, qui chacun coûtèrent 200 thalers d’amende. Les récidives furent immédiates ; le même tarif s’appliqua. L’Etat, qui, dans la Posnanie surtout, désirait se faire respecter, mobilisa tout de suite des gendarmes, dans la paroisse illégalement pourvue ; ils expliquèrent aux paysans, dans la belle langue polonaise, qu’articulaient pour une fois des lèvres prussiennes, qu’il y avait là des prêtres qui n’étaient pas de bons curés, qui mariaient mal, qui enterraient mal ; les procès-verbaux succédaient aux offices ; la liturgie récidivait, bravant, le dimanche suivant, d’autres procès-verbaux.

Mais les subtilités juridiques de l’Etat ne prévalaient pas contre cette remarque courante que le prêtre nommé par l’archevêque avait le droit d’agir en prêtre, et le bon sens populaire faisait de chaque fidèle un canoniste très correct. Alors la force publique entrait chez ces curés, leur reprenait les livres d’état civil, le sceau de la paroisse ; ils étaient déchus du droit d’inscrire sur un livre qu’un enfant était né ; et si l’état civil demeurait-en souffrance, ce serait tant pis pour les populations qui s’attachaient à ces curés-là. Ledochowski tranquille laissait s’entasser les pénalités et continuait sa besogne d’archevêque ; il fut dépouillé, le 1er octobre, des dotations d’Etat qui complétaient ses revenus. Les amendes grossissaient, les subsides se dérobaient : le ministère des Cultes ne lui donnait plus d’argent, et le ministère de la Justice lui en réclamait sans cesse. Il ne répondait pas, il attendait. Un spectateur peu suspect écrivait sévèrement : « Ces peines pécuniaires rendent l’État méprisable. » Il n’était autre que Keyserling, dont Bismarck avait un instant voulu faire un ministre des Cultes en 1872.