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qu’après avoir triomphé. Heureusement, il y a des « millions qui prient, » disait Auguste Reichensperger, pour rassurer ses douloureuses inquiétudes. Les menaces de la loi allaient faire entrer en scène cette collectivité des « millions qui priaient, » personnalité nouvelle, imprévue, qui, la veille encore, insérait loyalement son activité quotidienne dans le labeur collectif de l’Allemagne ; et qui, tressaillant subitement, allait opposer à l’omnipotence invaincue de l’État les droits désarmés de la conscience.

Reichensperger voyait juste, c’était là le principal trait de ce peuple : il priait. Il priait dans ses paroisses où l’usage des beaux chants allemands l’associait d’une façon très intime, très profonde, aux péripéties du drame sacré ; il priait dans ses vagabondages, où d’étape en étape le guettaient et le recueillaient les associations de compagnons fondées par le prêtre Kolping ; il priait dans ses émigrations, lorsque là-bas, au fond des grandes villes, l’attendaient pour lui prêter aide des œuvres de protection et de relèvement, dirigées par des chapelains.

Ce peuple pratiquait ; aujourd’hui encore, malgré l’influence amollissante que vingt-cinq années de paix religieuse auraient pu exercer, le paysan de l’Eifel ou de la vallée rhénane qui ne fait pas ses Pâques est une exception ; aujourd’hui encore, là-bas, lorsque les évêques parcourent leur diocèse pour donner la confirmation, des files de pénitens, quittant leurs champs ou leurs boutiques, les réclament au confessionnal pour un autre sacrement ; et des chuchotemens discrets, échange d’aveux et de conseils, prolongent le contact, toujours plus confiant, entre des populations qui accourent et des évêques qui s’attardent à écouter. Ainsi en était-il déjà, il y a quarante ans. Il nous faut presque un effort de pensée pour nous représenter ce qu’était, pour ces foules catholiques, l’observance de leur foi. Elles n’auraient pas considéré comme catholiques des existences familiales où le prêtre ne serait intervenu que pour baptiser des enfans qui ne comprennent pas encore, distribuer des premières communions qui souvent seront les avant-dernières et parfois les dernières, marier des adultes qui ont cessé de croire, et oindre des mourans qui ne comprennent plus.

Ce peuple savait son catéchisme. Plusieurs heures par semaine, l’instruction religieuse était donnée par l’instituteur ; puis, avant la première communion, le curé lui-même enseignait à son tour. Des prônes simples, fréquens, plus catéchétiques