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cherchent à « situer » les faits dans l’espace et l’histoire, « modernistes » qui au contraire les rapprochent de nous, les baignent dans la vie populaire, et ramènent Jésus chez les humbles, au village, aux faubourgs, ont également respiré l’atmosphère de la science. M. Besnard est plutôt de la dernière école, avec une nuance encore plus « philosophique. » Nul n’attache moins de prix aux faits. Il ne les prend que comme des signes. Je pense que de sa vie il ne lui est arrivé de raconter une « histoire. » Il est aux antipodes de M. Détaille ou de M. Jean-Paul Laurens. Toute réalité à ses yeux s’évapore et ne conserve, avec le simulacre de sa forme, que l’essence immatérielle et générale d’un symbole.

Avec ce tour d’esprit, il n’était pas question d’un récit textuel du drame évangélique. Le Christ est moins ici une personne, qu’une personnification. Il est la forme que prend le rêve de l’humanité souffrante. Sa crucifixion, sa mort, sa résurrection ne sont que la figure de la « passion » humaine ; c’est nous qui vivons, qui mourons, et notre religion est le culte de nos misères divinisées. L’idée est belle, d’une grande et poétique beauté ; on est ému de cette légende, de cet « Évangile éternel, » où plane sur chaque scène de joie ou de tristesse l’étrange fantôme familier, le doux et pâle revenant. Deux ou trois pages entre autres, la Naissance et la Mort, — où ce maître épris de l’éclat et des teintes opulentes réduit sa palette au silence et fait vœu de pauvreté, — sont véritablement touchantes. Certaines négligences affectées ou involontaires, provenant peut-être d’un peu de hâte, ne sont pas pour déplaire chez ce peintre continuellement habile. Quelqu’un a prononcé là-dessus le nom de Rembrandt. Les différences sautent aux yeux ; celle de la foi, quand il n’y en aurait pas d’autre, distinguerait fortement le croyant de l’homme détaché. Intelligente, certes, autant qu’œuvre peut l’être, elle demeure par cela même d’une sensibilité tout intellectuelle : elle est d’un esprit supérieur ou extérieur à son sujet. Ce Christ, peu médité, n’est pas le Dieu du cœur ; il sort du talent de l’artiste, et non de ses entrailles. Ajoutez à cela, dans la description pathologique des souffrances, une « curiosité » où paraît trop le virtuose. Le morceau appelé le Mal est, dans ce genre, affreux à voir. Alcoolisme, rachitisme, delirium tremens, hystérie, bancalisme, crétinisme, c’est le rendez-vous de toutes les tares, une Salpêtrière de vices et