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quelque chose d’important. On souhaiterait d’ailleurs sur cette œuvre, qui date de vingt-cinq ans à peine, autant de renseignemens que nous en possédons sur tel retable du XVe siècle, un de ces contrats notariés où tout était prévu, le nombre et le nom des figures, le choix des couleurs et leur prix, l’azur du manteau de la Vierge et l’or fin de son auréole, en sorte que l’on sait à quoi s’en tenir exactement sur le rôle du peintre et la mesure de son initiative : on voudrait savoir, en un mot, comment M. Besnard a élaboré son programme.

Rien de plus utile, en effet, qu’une école d’apothicaires : peu de choses, toutefois, dans tout notre régime scolaire, prêtent à l’imagination des formes moins séduisantes. Heureux les peintres du temps jadis ! Car ce n’était pas la première fois que la science s’exprimait par le moyen de l’art. Mais c’était une belle chose à peindre que la Chapelle des Espagnols. C’était un grand sujet que cette page doctorale, ce concile universitaire où siège sur des gradins gothiques l’assemblée des vierges sages, que préside saint Thomas d’Aquin assisté des prophètes et salué par les anges. Il existait, pour représenter ces hautes abstractions, Eloquence, Logique, Géométrie, Musique, un essaim de calmes figures, déesses de l’intelligence, qu’on retrouvait partout les mêmes au porche des cathédrales comme des génies tutélaires à l’entrée de chaque avenue de la vie spirituelle. L’ensemble présentait la beauté architecturale d’une doctrine ou d’un système. Raphaël même n’a pas fait mieux dans la page immortelle où il a résumé le mouvement des esprits, la bouillonnante Jouvence et l’harmonieux enthousiasme de la Renaissance. Mais nous ne sommes plus au temps de ces vastes encyclopédies où un homme embrassait la somme des connaissances humaines. La spécialisation des sciences dans ce siècle d’analyse a rendu difficile la majestueuse unité où se plaisait le moyen âge. Voyez-les, chez Puvis, à l’hémicycle de la Sorbonne, espacées, solitaires, éparses, chacune errant de son côté dans l’immense champ des recherches ! Quelle mélancolique sagesse s’exhale du spectacle de ces spéculations décousues ! A la bibliothèque de Boston, l’artiste renonce à nouer entre elles aucune espèce de lien : chaque science, isolée sous l’arche d’un portique, n’est plus qu’un point de vue sur les choses, une baie ouverte sur la nature. L’union s’opère ailleurs, plus haut, sur les cimes du rêve et de la poésie…