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opiniâtrement, sans regarder à droite ni à gauche, dans les mêmes erremens qu’autrefois. Sans doute, avoue M. Vallé, le parti radical et radical-socialiste a perdu quelques-uns des siens aux élections dernières, « grâce à certaines basses intrigues et à des trahisons ; » mais il n’en reste pas moins « le nombre, » et, quand on a le nombre, on fait tout ce qu’on veut ; on n’a pas seulement la force, on a le droit. L’apaisement, M. Vallé ne le répudie pas en principe, mais il l’entend à sa manière. « Ce mot, dit-il, qui répond au plus noble des sentimens, ayant été prononcé sans qu’on lui ait donné son entière signification, on en a conclu qu’il s’adressait à nous seulement et qu’il signifie que nous devons garder le silence. » Où donc M. Vallé a-t-il pris cela ? Il peut parler tant qu’il voudra sans que personne s’y oppose. On peut trouver mauvais ce qu’il dit, mais non pas qu’il le dise. Nous vivons à une époque de large publicité où, quelles que soient les atteintes qui ont été portées à d’autres libertés, celle de la pensée, quelle s’exprime par la parole ou par la plume, est restée entière ; jamais il n’y en a eu autant sous un autre régime, et c’est l’honneur de la République d’avoir respecté et maintenu cette liberté, — au moins jusqu’ici, car on peut se demander, en écoutant M. Vallé, s’il en sera de même dans l’avenir. Il affirme, en effet, que l’apaisement ne peut se faire que dans le « silence des vaincus ; » en d’autres termes, il entend imposer aux autres le silence dont il ne veut pas pour lui-même ; il omet seulement de dire comment il s’y prendra pour cela. Fera-t-il une loi pour empêcher les vaincus de parler ? Compte-t-il sur leur soumission, sur leur docilité, sur leur résignation pour comprendre qu’ils n’ont plus qu’à se taire, sans murmurer ? Dans ce dernier cas, M. Vallé se trompe étrangement, pour deux motifs principaux : le premier est que les vaincus ne se sentent pas aussi vaincus qu’il l’imagine ; le second est que, quand bien même ils auraient perdu l’espérance de faire prévaloir un jour leur pensée, ils ne renonceraient pas à la dire. Jamais les vaincus ne se sont tus en France ; jamais ils n’ont cessé de s’adresser au pays, lorsqu’on leur en a laissé le moyen matériel ; jamais ils n’ont renoncé à l’éclairer, à le ramener, à l’entraîner, et l’histoire montre qu’à travers des alternatives de fortune qu’ils ont tous éprouvées, aucun parti n’a été vaincu pour toujours. Nous ne parlons pas des partis qui se sont rattachés à des formes politiques vieillies et périmées, mais de ceux qui représentent les tendances diverses inhérentes à l’âme humaine elle-même, qui tantôt se porte précipitamment en avant et tantôt éprouve le besoin de modérer le mouvement, ou de changer de