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arrêtés et sont encore prisonniers. Le ministre de France, M. Saint-René Taillandier, qui a fait son devoir dans cette circonstance comme dans toutes les autres, a obtenu la libération de quelques-uns d’entre eux. Le gouvernement paraît avoir profité de ces incidens pour orienter les esprits dans un sens anticlérical, avec l’intention avouée de procéder à la séparation de l’Église et de l’État. L’exemple de la France a produit une vive impression sur les révolutionnaires portugais ; ils auraient tort cependant de l’imiter, d’abord parce qu’il ne faut jamais, en pareille matière, procéder par imitation, ce qui convient à un pays ne convenant pas nécessairement à un autre, — ce n’est pas la peine d’être positiviste si on ne sait pas cela ; — ensuite parce que le Portugal n’est probablement pas mûr pour une semblable réforme, la plus dangereuse de toutes lorsqu’elle n’est pas faite avec prudence et au moment opportun. Les républicains portugais ne parlent pas seulement de M. Briand, ils parlent aussi de M. Canalejas, ils le citent volontiers comme un modèle dont ils se proposent de s’inspirer. Mais M. Canalejas n’est nullement partisan de la séparation de l’Église et de l’État en Espagne ; il la déclaré à diverses reprises. L’œuvre qu’il a entreprise, et qui consiste surtout à arrêter le développement excessif des congrégations, est beaucoup plus restreinte que celle des républicains portugais. Au surplus, le premier ministre espagnol ne cesse de protester que, catholique lui-même, il ne veut rien faire contre la religion catholique dans un pays qui en est imprégné : on est très loin avec lui des professions de loi prétendues positivistes que prodiguent les républicains portugais.

Puisque nous avons prononcé le nom de M. Canalejas, disons tout de suite que la nouvelle de la proclamation de la République au Portugal ne semble pas lui avoir donné une grande satisfaction. Il s’en est expliqué devant la Chambre avec une réserve à travers laquelle on apercevait facilement une préoccupation assez vive ; et rien n’est plus naturel, car M. Canalejas n’étant pas seulement catholique mais encore monarchiste, devait en effet se préoccuper de la contagion que la république portugaise pouvait exercer en Espagne. Sans doute, les différences entre le Portugal et l’Espagne sont profondes : néanmoins, la leçon venue de celle-là peut servir à celle-ci et à M. Canalejas lui-même. On a pu craindre parfois que ce ministre ne jouât un jeu dangereux en associant à sa politique, dans les questions religieuses, les adversaires les plus ardens de l’institution monarchique. Il y a certainement des réformes à faire en Espagne en vue de restreindre le trop grand nombre des