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l’anatomie, les élèves touchent des squelettes, des écorchés en relief, des pièces anatomiques. L’Association Valentin Haüy compose pour eux une bibliothèque d’ouvrages d’anatomie, de physiologie et de massothérapie transcrits en points saillans. Mais la question la plus délicate n’était pas celle de l’apprentissage : il s’agissait de faire travailler les masseurs. Nous ne pouvons sur ce point que nous en remettre à l’intelligente bienveillance des médecins qui comprendront qu’un devoir d’humanité, en même temps que l’intérêt de leurs malades, les sollicite à donner la préférence au masseur aveugle.

Une expérience tout à fait rassurante, décisive même, a été faite l’été dernier. L’Association Valentin Haüy a envoyé trois masseurs dans des villes d’eaux, à Bourbonne, à Vichy, à Néris. Elle prenait à ses frais tous les risques de l’entreprise. Partout il s’est trouvé des médecins de cœur et d’intelligence que la perspective d’une innovation n’a pas effrayés et qui ont été séduits par l’idée d’une tentative bienfaisante. Et sur les trois points le succès a dépassé toute espérance. La clientèle a montré qu’elle acceptait parfaitement le masseur aveugle, et qu’elle appréciait ses avantages. Chacun de nos masseurs a soigna environ cinquante malades ; soyons précis : l’un d’eux en a traité quarante-quatre, et les deux autres chacun cinquante-deux. Partout des témoignages de satisfaction tout à fait flatteurs leur ont été décernés par les médecins qui les ont vus à l’œuvre. On peut donc considérer que la profession de masseur est en France ouverte aux aveugles. Deux cours de massage leur sont actuellement professés à Paris. Le ministère de l’Intérieur qui, grâce à M. Mirman, encourage toutes les tentatives faites en faveur des aveugles, donnera une subvention qui permettra de fonder une clinique pour les masseurs aveugles.

Mais n’oublions pas que c’est une profession qui, si elle est vraiment lucrative, ne pourra s’ouvrir qu’à un nombre assez restreint d’aveugles. Le succès est à ce prix. Elle réclame, réunies dans un même individu, des qualités très diverses. Comme elle exige un contact direct et prolongé du travailleur avec le client, il faut que l’aveugle qui l’exerce ait un physique agréable, que sa présence n’éveille aucun sentiment pénible. Je veux dire que tous ceux que la cécité a défigurés sont exclus nécessairement. Il faut encore que le masseur soit intelligent et cultivé, de manière à faire honorablement sa partie dans une