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donnaient des leçons de musique aux élèves. Celles qui ne s’accommodaient pas de cette existence cherchaient à enseigner dans quelque pension laïque et à courir les cachets, mais elles avaient infiniment plus de mal à assurer leur subsistance, et d’ailleurs presque toutes préféraient la vie conventuelle qui leur donnait l’internat et qui supprimait toutes les difficultés de la vie matérielle. Assurément, leur gain n’était pas élevé, mais pour la femme aveugle, qui ne peut guère songer au mariage, l’essentiel est de se tenir à l’abri des heurts de la vie, d’avoir une existence régulière et tranquille. Désormais, elles devront se contenter presque toujours de postes dans des pensions laïcisées, obtenus avec beaucoup plus de peine, car la concurrence des clairvoyans y est plus redoutable, et elles devront compter avec des obstacles nombreux qui leur étaient épargnés. Leur vie sera plus difficile.

Tout cela est certes très regrettable. On ne doit pourtant pas jeter le manche après la cognée, et priver les aveugles, qui n’en peuvent mais, de leur meilleure ressource. Ce qui est vrai cependant, c’est que, dans les circonstances actuelles, il faudra peut-être faire moins de musiciens que par le passé. Tous ceux qui avaient un minimum de dispositions, jusqu’à présent, étaient dirigés vers l’orgue, et l’on avait raison d’agir ainsi, tant les musiciens les moins doués avaient la vie meilleure que les plus habiles brossiers ou les plus habiles canneurs. Les maîtres ne se sentaient littéralement pas le courage d’exclure de la leçon de piano ou de la leçon d’harmonie celui qui n’était pas absolument incapable de parvenir à un résultat. Ceux-là n’étaient pas professeurs, mais pour bien tenir l’orgue d’une petite église, pas n’est besoin d’avoir du génie. Aujourd’hui que la lutte devient plus dure, il n’y faut hasarder que des combattans bien armés.

Tous d’ailleurs auront toujours besoin d’un patronage intelligent et attentif. Il faut guetter à travers la France entière les places d’organistes ou de professeurs qui viennent à être libres et qu’on peut postuler ; il faut choisir parmi les candidats possibles celui qui convient à chaque place, afin d’adapter les talens aux diverses situations ; il faut lutter contre le préjugé, l’ennemi partout embusqué, et convaincre les intéressés qu’un aveugle est capable de remplir la place. Quand le jeune artiste vient prendre possession de son poste, il est souvent sans ressources, et les premiers temps sont durs : il faut l’aider de secours, en nature et en espèces, jusqu’à ce qu’il puisse se tirer d’affaire ; il