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travail. Seule, en effet, elle est efficace, parce que seule elle apporte à l’assisté, avec la dignité de la vie, l’oubli de son malheur. Telle est la révolution profonde qui s’est opérée dans le monde des aveugles depuis un siècle un quart : ils étaient condamnés à mener une vie oisive, à charge aux autres et à eux-mêmes ; aujourd’hui, ils peuvent devenir des êtres utiles. C’est à la France qu’ils sont redevables de cette transformation, car c’est un Français, Valentin Haüy, qui, à la fin du XVIIIe siècle, a révélé au monde que l’aveugle est bon à quelque chose, et c’est encore un Français, un élève de Valentin Haüy, l’aveugle Louis Braille, qui leur a donné l’alphabet génial grâce auquel leur instruction est singulièrement facilitée. Mais en France, aussi bien qu’ailleurs, une révolution de ce genre ne s’opère qu’avec lenteur. Elle se heurte à trop de préjugés séculaires. Quand, voici moins de quarante ans, Maxime du Camp écrivait dans la Revue[1] son piquant article sur l’Institution des jeunes aveugles, il n’ignorait pas qu’en France cette institution était presque seule encore à préparer de véritables travailleurs aveugles, parce que presque seule elle assurait à ses élèves une solide culture professionnelle, et, après leur sortie de l’école, un patronage éclairé.

Beaucoup d’hommes travaillaient à réaliser l’œuvre de Valentin Haüy, mais leurs tentatives demeuraient sporadiques. Heureusement, depuis une vingtaine d’années, cette situation s’est considérablement améliorée. Un aveugle de grand cœur, M. Maurice de la Sizeranne, auquel tous ses frères en cécité devront une éternelle reconnaissance, a senti la nécessité de coordonner ces efforts dispersés, et il a fondé de ses seules forces l’Association Valentin Haüy, dont le but est d’étudier toutes les questions relatives à la cécité et de poursuivre de toutes les manières à la fois l’amélioration du sort des aveugles. Grâce à l’activité et au dévouement de son fondateur, qui en est resté l’âme, l’Association Valentin Haüy s’est promptement développée. Vite les services qu’elle rendait l’ont fait reconnaître d’utilité publique. Son action s’étend à la France entière, et elle vient en aide à tous les aveugles sans distinction.

J’ai parlé déjà des secours intellectuels et moraux que sa bibliothèque et ses périodiques en points saillans apportent à

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1873. Voyez aussi son article sur les Sœurs aveugles de Sainl-Paul, 1er mars 1854.