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l’éveil d’une émotion, qui réellement a sa source en nous. Cette occasion peut venir de l’ouïe, du toucher, de mille incidens insignifians. La même joie inconsciente que l’enfant clairvoyant éprouve à voir le visage de ses parens, l’enfant aveugle la goûte à entendre leur voix. Et puis, la vie intérieure est assez riche pour fournir des diversions au regret de la lumière. Elle offre à la pensée une étoile nouvelle quand celle-ci ne trouve plus dans la vue son aliment ordinaire. C’est un cours différent à donner aux idées qui d’elles-mêmes s’engagent peu à peu dans la direction nouvelle.

Il n’est pas besoin d’un grand effort de réflexion pour concevoir que le souvenir de la lumière qu’aucune image ne vient plus réveiller s’alanguit peu à peu, ou simplement, si l’on veut, se fait de moins en moins poignant. Les heurts de la vie matérielle, au contraire, sont à peu près inévitables. La faim, les nécessités de l’existence, obligent l’aveugle à agir, et d’ailleurs, l’oisiveté serait pour lui un mal mille fois pire encore.

Le rôle des amis des aveugles, des typhlophiles, comme nous disons, est précisément de supprimer les obstacles périlleux dressés sur son chemin. La constatation que nous venons de faire est pour eux singulièrement encourageante : si l’aveugle était hanté de l’idée de la lumière, si retrouver la lumière pouvait seul le consoler, nous n’aurions qu’à nous croiser les bras et à attendre un miracle de la science qui ne viendrait pas. Puisqu’il ne veut que mener une vie active et indépendante, nous pouvons au contraire l’aider à s’assurer sa part de bonheur. Contrairement à ce que l’on pense d’ordinaire, l’aveugle, lorsque la cécité n’est plus toute nouvelle pour lui, lorsqu’il s’est habitué à son sort, ne considère pas du tout sa vie comme condamnée. Il sait que, s’il parvient à se refaire une activité productive, une activité qui tout à la fois le défende, en l’occupant, contre les chagrins stériles et déprimans, assure sa propre existence et lui donne le sentiment qu’il est utile aux autres, il pourra mener une vie très acceptable, heureuse même, peut-être se constituer un foyer comme les autres hommes, s’entourer d’affections, prendre sa part des joies humaines. Il le sait, il en a le sentiment très vif. Mais les entraves matérielles sont là, qui l’arrêtent, qui l’empêchent de s’arracher à sa torture.

Pour tous les aveugles valides et normalement constitués, un seul mode d’assistance est recommandable, l’assistance par le