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A peine devinai-je une ombre de dédain
Recouvrir, par instant, une ombre de colère.
Tous, disciples, savans et la masse vulgaire
Sentirent dès l’abord, pris d’un même respect,
La noblesse cachée en son modique aspect.
Sa première parole éclaira son visage ;
Au cours de ses propos si simples, son image
Par-delà la mesure humaine grandissait,
Si bien qu’une terreur enfin nous remplissait,
Comme on l’éprouve auprès de présences divines
Et cet homme aux façons humbles et citadines,
Au maintien négligé, si pauvrement vêtu,
Paraissait, — peu à peu, — resplendir de Vertu.
Ses yeux si beaux et bons, bleus et gris tout ensemble.
Et toujours habités d’une lueur qui tremble
Etroite et retirée au fond de leur regard,
Ou qui nage diffuse en un pensif brouillard,
Tantôt ils s’emplissaient d’une clarté plus ample
Digne de s’allumer sur le parvis du temple
Où les Dieux, sous son front, ont un culte nouveau ;
Tantôt on ne savait si la fleur ou si l’eau
Fournissait ce reflet d’azur limpide et tendre,
Jeune, frais, innocent, et qui semblait étendre
Sur nous tous la candeur d’un cœur naïf d’enfant ;
Tantôt il y passait un éclair triomphant,
Et tantôt un éclat plus dur et plus sévère ;
Mais toujours revenait la lueur familière
Qui, retirée au fond des regards amoindris,
Leur rendait leur jeu fin d’amusement surpris.
Tout cela se passait par-dessus son langage,
Qui restait sur le sol, comme on voit un nuage
Transformer ses trésors d’ombres et de rayons
Au-dessus des labeurs penchés sur les sillons.

Tous ne discernaient pas, comme nous ses disciples.
Sous sa tranquillité, les profonds, les multiples,
Les subtils mouvemens qui traversaient ses yeux ;
Encor moins pouvaient-ils discerner, — plus loin d’eux
L’infini mouvement qui traversait son âme.
Mais tous sentaient pourtant qu’il brillait une flamme