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Qui frémissait parfois au bord de l’éloquence,
Eut peut-être éclaté, n’était la vigilance
Dont il a toujours su maîtriser son discours ;
El les mots revenaient à leur calme parcours.
Quel puissant orateur aurait été Socrate,
S’il n’avait préféré cacher, comme l’agate,
Sa veine précieuse en un fruste dehors
Plein, quand il est ouvert, d’un reploiement d’essors.


THÉÉTÈTE



Quel souvenir sacré dans ton âme va vivre !


LYSIS


Plus grand que tu ne crois ! C’était beaucoup de suivre
Le travail ou plutôt le jeu de son esprit,
— Vous n’en avez par moi qu’un rapport amoindri, —
Mais c’était plus encor de l’admirer lui-même,
D’admirer, embellis d’une clarté suprême,
Ces traits dont quelquefois il aime à plaisanter
Je rends grâces aux Dieux d’avoir pu l’écouter,
Mais combien plus encor d’avoir vu sur sa face
Tout ce qu’un seul instant magnanime ramasse
De grandeur sur le marbre étroit d’un front humain.

Il était arrivé, le visage serein ;
Je ne sais pas encor si sa paix coutumière
Et cet abord rieur qu’aucune humeur n’altère
Portaient réellement un air de gravité,
Ou si c’est notre esprit qui le leur a prêté,
Car nous étions émus plus qu’il ne semblait l’être.
Un commerce fidèle et long m’a fait connaître
Le jeu discret, mais riche et divers de ses traits ;
Je les ai vus railleurs, pénétrans et distraits,
Je ne les vis jamais plus souples à l’idée ;
Et mon âme attentive, anxieuse, guidée
Par des indices fins inaperçus de tous,
Put suivre tout l’émoi de son âme, au-dessous
De ces mots qui déjà contenaient tant de choses,
Comme on voit sous l’effet la réserve des causes.
Tout le temps qu’il parla, modestement hautain,