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négligeait le plus puissant des vaisseaux ennemis, le trois-ponts le Devonshire, qui tenait la tête de la ligne anglaise et par suite se trouvait sous le vent de son attaque. Il comptait sur l’arrivée de Forbin pour empêcher ce vaisseau de virer de bord et de venir au secours de ses camarades. Et c’est bien ainsi que les choses se passèrent.

« Monsieur du Guay attaqua le commandant anglais avec un air à faire plaisir (rapport du chevalier de la Jaille, commandant la Gloire) ; celui-ci l’attendoit de pied ferme, en mettant ses huniers à fazier (sic) de sorte qu’ils n’eurent pas de peine à se joindre, etc. »

Sir Richard Edwards s’attendait peut-être à un combat d’artillerie en ligne, suivant l’usage des escadres à cette époque. Il comptait sans son hôte. Il avait à peine tiré sa première bordée qu’il fut enlevé à l’abordage, en un clin d’œil, par suite de la brillante manœuvre qu’effectua du Guay-Trouin et que celui-ci décrit ainsi :

« Ces ordres donnés, j’arrivai sur les ennemis, et faisant coucher tout mon équipage sur le pont, je donnai mon attention à bien manœuvrer. J’essuiai d’abord, sans tirer, la bordée du Chester, matelot de l’arrière du Cumberland, ensuite celle du Cumberland même qui fut des plus vives. Je feignis dans cet instant de vouloir plier ; il donna dans le piège ; et ayant voulu arriver pour me tenir sous son feu, je revins tout à coup au vent, et par ce mouvement son beaupré se trouva engagé dans mes grands haubans, avant que de lui avoir riposté d’un seul coup de canon, en sorte que toute mon artillerie, chargée à double charge, et ma mousqueterie, l’enfilant de l’avant à l’arrière, ses ponts et ses gaillards furent dans un instant jonchés de morts. Aussitôt M. de la Jaille, mon fidèle compagnon d’armes, s’avança avec la Gloire pour exécuter ce que je lui avais ordonné ; mais ne pouvant m’aborder que difficilement par rapport à la disposition où il me trouva, il eut l’audace d’aborder le Cumberland même de long en long. Il est vray qu’il rompit son beaupré sur la poupe de mon vaisseau, dans le même moment que l’ennemi achevoit de rompre le sien dans mes grands haubans… »

Insistons un moment sur cette manœuvre. Par feindre de plier, il faut entendre que le Lys que montait du Guay-Trouin, au lieu de se ranger parallèlement au Cumberland, laissa porter pour passer à son arrière, entre lui et le Chester comme si, re-