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Royal Oak de 76 canons, et deux frégates de 56 canons chacune, le Chester et le Ruby. Ces bâtimens naviguaient en ligne de file, au vent du convoi, dans l’ordre suivant : Devonshire, Ruby, Cumberland, Chester, Royal Oak ; le commandant en chef était donc au centre de la ligne, ayant les deux frégates comme matelots d’avant et d’arrière.

Aussitôt qu’il aperçut l’ennemi, Forbin vira de bord et s’efforça de gagner l’avantage du vent : du Guay-Trouin imita sa manœuvre en forçant de voiles pour le rejoindre. Le commandant anglais ne reconnut pas tout d’abord à qui il avait affaire : trompé sans doute par les brumes du matin et par la distance, il crut voir, ainsi qu’il le dit plus tard, une troupe de pirates méprisables pour cinq gros bâtimens comme les siens ; il continua donc tranquillement sa route. Mais soudain Forbin vint au vent pour prendre des ris dans les huniers, alors qu’il était encore à six milles des Anglais, et du Guay-Trouin, quoique surpris de cette manœuvre, crut devoir limiter, bien que, dit-il dans ses Mémoires, « le temps eût permis de porter perroquets sur perroquets. »

Nous n’avons pu déterminer si Forbin prit un ou plusieurs ris ; les rapports et les mémoires disent « les ris, » sans spécifier autrement. Il eût été cependant bien intéressant de préciser ce détail, parce que du Guay-Trouin reprocha plus tard cette manœuvre à Forbin, et prétendit qu’en retardant l’attaque, elle avait permis à la plus grande partie de la flotte marchande de s’échapper. À cette époque où les voiles étaient souvent déformées par l’usage, ou mal coupées, lorsqu’un bâtiment voulait donner la chasse à un autre, il prenait un ris dans les huniers, afin de pouvoir mieux les « étarquer, » terme nautique qui signifie tendre la voile, afin de serrer le vent le plus possible : d’où le nom de ris de chasse donné au premier ris des huniers. En prenant le ris de chasse, Forbin n’aurait donc fait qu’une manœuvre toute naturelle, prouvant qu’il voulait joindre l’ennemi plus vite ; du Guay-Trouin l’ayant accusé d’hésitation et d’incertitude, il est probable qu’il prit deux ris. Il aurait agi ainsi afin de diminuer sa voilure et de la rendre plus maniable pendant le combat ; c’était une précaution judicieuse en certains cas, que les Anglais observaient aussi.

Quoiqu’il en soit, cette manœuvre attira l’attention de sir Richard Edwards et lui fit comprendre qu’il allait être attaqué