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hollandaise de 62 bâtimens. Si, à partir de cette date, aucun armement considérable ne fut plus effectué jusqu’à la mort de Louis XIV, il faut l’attribuer au mauvais état de nos finances. La France était épuisée, le trésor royal à sec. Voilà pourquoi nos vaisseaux restèrent dans les ports. Quelques-uns seulement furent armés en course, soit aux frais de l’État, soit aux frais d’armateurs particuliers, réunis le plus souvent en compagnies financières dont faisaient partie les plus grands seigneurs de la Cour, des princes du sang, des ministres même.

Parmi les hommes de mer qui s’illustrèrent dans cette période de notre histoire, il faut citer Forbin et du Guay-Trouin. Jean-Bart était mort : son fils, qui devait devenir vice-amiral, servait sous Forbin.

La guerre de course est bien décriée aujourd’hui ; il est certain qu’elle n’a jamais eu d’effet décisif sur le résultat des grandes guerres historiques : cependant, la destruction, ou simplement la dispersion de flottes marchandes destinées à ravitailler les armées de terre, ont eu souvent la plus grande influence sur le sort de celles-ci. En 1707, une flotte de 120 voiles, escortée par 5 vaisseaux de guerre anglais, portant en Portugal des approvisionnemens, des troupes et des chevaux, pour l’armée alliée qui opérait en Espagne, fut dispersée à la suite d’un combat sanglant livré par Forbin et du Guay-Trouin. Elle aurait pu être entièrement capturée, si ceux-ci avaient agi de concert. À propos de ce combat, une querelle, célèbre à l’époque, éclata entre les deux chefs ; c’est cet épisode peu connu que nous allons essayer de raconter, d’après des documens en partie inédits. Il montre une fois de plus que, lorsque deux chefs militaires doivent coopérer à une même action, il importe que l’un des deux soit subordonné à l’autre d’une façon précise ; et, bien que cette histoire soit vieille de plus de deux cents ans, peut-être y trouvera-t-on encore quelque raison d’actualité, en ce moment où nos deux escadres principales sont commandées par des amiraux de même grade, indépendans l’un de l’autre.

I

Au commencement de l’automne de l’année 1707, trois escadres se trouvaient réunies sur la rade de Brest. La plus importante, commandée par le chef d’escadre Jean-Baptiste du