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Les sages anciens ont professé des pensées désolantes et celui-là les a toutes résumées qui a dit que l’homme une fois ne devait se coucher le plus tôt possible dans la tombe en amassant de la terre sur sa tête. Malgré cette amertume, ils ne se sont pas complu dans la douleur, ils ont échappé à la mélancolie, ils ont pratiqué une résignation froide devant les arrêts du destin. Dans cette sérénité stoïcienne, James discerne une grande majesté, et un orgueilleux effort, mais il découvre aussi quelque chose de glacial et de surhumain. Il y cherche en vain la tendresse et la joie que les croyans ont connues depuis. C’est que, dit-il, l’âme du monde à qui le sage antique s’en remet de sa destinée individuelle veut qu’on la respecte et qu’on se soumette à elle : le Dieu chrétien veut être aimé. En regard des sentences de Marc-Aurèle si austères et où l’intelligence ne paraît s’envelopper d’aucune sensibilité, William James place les douces phrases de l’Imitation : « Seigneur, tu sais ce qui vaut le mieux, fais ceci, fais cela comme il te plaît, donne ce que tu veux, comme tu veux, quand tu veux, conduis-moi selon ta sagesse, selon ton bon plaisir, pour ta plus grande gloire. Place-moi où tu voudras, traite-moi comme ta chose ; je ne veux pas vivre pour moi, mais pour toi, tu es mon espoir, ma confiance, mon consolateur fidèle. »

William James a écrit sur la vie chrétienne des pages admirables de pénétration et d’enthousiasme. Après avoir retracé les conditions psychologiques de l’expérience religieuse et montré ce qui se passe dans la conscience humaine, il s’est plu à apprécier la valeur des faits religieux, et selon une méthode tout empirique à considérer les « fruits de la vie religieuse. » Comme Sainte-Beuve dans son Port-Royal, il a tenu à proclamer son admiration pour cet état fixe et invincible, cet état vraiment héroïque qu’il a appelé la sainteté. La série d’exemples qu’il a examinés lui a fait voir la nature humaine sous son aspect le plus noble, le plus digne d’intérêt. En parcourant, comme je viens de la faire, écrit-il, une foule de documens, « j’ai été transporté dans une atmosphère plus pure et plus fortifiante. Les plus beaux élans de charité, de dévoue-mont, de confiance et de courage ont été inspirés par un idéal religieux. » Il faut citer le passage :


L’homme en qui domine le sentiment du devoir découvre une valeur infinie aux plus petits détails de ce monde, en tant qu’ils manifestent un