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partie de l’expérience et que ni l’ancien empirisme lui-même, ni le positivisme n’avaient étendu leur domaine aussi loin qu’il était utile. Il est donc parti hardiment à l’exploration du monde, sans préjugé, résolu à ne rien négliger, et à tout constater, à tout admettre, à se conduire selon sa formule en « empiriste radical. » Notre intelligence, écrit-il, ne saurait s’emmurer toute vive dans la logique comme une larve dans sa chrysalide : elle ne doit pas cesser de converser avec l’univers dont elle est la fille.

Il est bien probable que James ne s’était pas encore complètement défini à lui-même cette méthode lorsqu’il a commencé ses études de psychologie. Mais il l’a tout de suite employée en ce qu’elle a d’essentiel ; elle était dans son tempérament. Examinant la vie de l’esprit, il s’est défait des conceptions traditionnelles, il a fait table rase de ce qu’on enseignait de son temps. L’antique école qui distinguait les facultés de l’âme et nous montrait l’esprit avec ses idées, ses sentimens, sa mémoire et sa volonté bien ordonnés, est tombée depuis longtemps dans l’abandon. L’école anglaise l’invitait à reconstituer le monde psychologique sur le modèle de l’univers physique et à voir dans les phénomènes de l’esprit des idées simples, des sensations élémentaires qui, se combinant entre elles, forment des composés à la façon des atomes qui constituent les corps. Enfin, l’école psycho-physiologique le persuadait de chercher les faits de conscience dans les faits nerveux, et de demander aux observations de laboratoire le secret de notre vie spirituelle. James se sépare de toutes ces écoles. Anatomiste, il n’ignore rien de la liaison des phénomènes de conscience et des phénomènes nerveux. Il a étudié longuement le sujet, il n’a rien négligé de ce qui peut éclairer le mécanisme du langage et de la mémoire. Les dix premiers chapitres de son Précis de Psychologie sont consacrés à l’étude de la sensation et de tout ce qui s’y rattache ; et pour que la lecture en soit plus facile, ils sont remplis de figures anatomiques, de coupes du cerveau, comme un livre d’histoire naturelle. L’étude de la physiologie lui semble utile à connaître ; elle est la préface nécessaire de la psychologie proprement dite. Il est bien vrai que tout état de conscience s’accompagne de certains phénomènes nerveux. Mais considérer le parallélisme de ces phénomènes est une chose, réduire les premiers aux seconds en est une autre. Pour William James, l’activité mentale ne saurait se ramener à la vie physiologique ;