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il les montre se livrant à une sorte de « sport » verbal, où il faut tenir compte des mots lancés dans la circulation par les autres et où l’erreur est plus grande d’oublier le vocabulaire d’un confrère que de négliger le réel. Il a écrit sur ce sujet dans l’Univers pluralistique une page satirique pleine de verve :


Il y a deux maîtresses pièces dans toute philosophie, la conception, la croyance ou l’attitude finale à laquelle cette philosophie nous amène, et les raisonnemens par lesquels on atteint à cette attitude et qui la préparent. Certes, une philosophie doit être vraie. Mais c’est la moindre des conditions à remplir. On peut trouver la vérité sans être philosophe, grâce à une divination ou grâce à une révélation. Ce qui distingue la vérité philosophique, c’est qu’elle reste construite par le raisonnement. C’est par des démonstrations et non par des hypothèses que le philosophe doit se mettre en possession de cette vérité : les hommes du commun se trouvent sans savoir comment avoir hérité de leurs croyances. Ils s’y précipitent à pieds joints et s’y tiennent. Les philosophes doivent faire plus. Ils doivent d’abord obtenir la permission de la raison pour leurs croyances et, aux yeux du philosophe de profession, le travail qui la leur fait obtenir est ordinairement une cause de beaucoup plus d’importance et de poids que n’importe quelles croyances particulières auxquelles ils aboutissent en usant de cette licence. Supposez par exemple qu’un philosophe croie à ce qu’on appelle le libre arbitre. Qu’un homme du commun marchant dans le même sens que lui partage aussi cette croyance, mais ne la possède que par une sorte d’intuition innée, cet homme n’en deviendra, en aucune façon, cher au philosophe. Ce dernier pourra même rougir de se voir associé un tel homme.


Et William James, poursuivant cette satire, nous fait voir le philosophe du libre arbitre et son adversaire le déterministe contens l’un de l’autre, pourvu qu’ils se servent de la même procédure, du même appareil technique ; il les peint se tirant des révérences, faisant des frais l’un pour l’autre, tenant mutuellement à leur estime, tandis que chacun d’eux n’a que mépris pour la troupe profane de gens « naïfs » qui sont tout simplement leurs partisans. C’est que les choses ont moins d’importance que la recherche des choses. Il est bon sans doute pour un homme de voir juste, mais c’est peu : il faut encore aux yeux de certains philosophes voir par principes, sous peine d’être déclaré par la science allemande l’auteur « d’un fatras superficiel » et un esprit « dépourvu de toute méthode scientifique. »

Si d’aventure, continue James, nos logiciens s’attaquent à quelque notion pratiquement claire et simple, ils l’obscurcissent, ils la rendent incompréhensible. Voici l’idée de changement,