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schall des Indes autour de sa tête ; elle porte une robe blanche qui laisse à découvert ses bras d’une éclatante beauté, — Mme de Staël tenait à la beauté de ses bras et elle a communiqué cette faiblesse, si c’en est une, à son héroïne ; — le front rayonnant, le regard inspiré, on dirait une prêtresse d’Apollon s’avançant vers le temple du Soleil. Et la foule qui remplit les rues de Rome et qui se presse sur son passage, s’écrie : Vive Corinne ! Vive le génie ! Vive la beauté !… Et on s’apercevait bien, dit Mme de Staël, que Corinne était contente d’être admirée. Ici se trahit cette complaisance secrète qu’a la belle âme pour elle-même. Mais cette personnalité qui est en elle, se dissimule ou, du moins, elle n’a rien d’âpre, ni de méprisant. Car le tempérament de la belle âme est un mélange de délicatesse et de tendresse ; elle est aimante ; elle éprouve l’invincible besoin d’aimer, de se donner, de répandre autour d’elle les trésors de son génie et de son cœur, de communiquer à ce qui l’entoure comme un reflet de sa beauté. La belle âme aspire à devenir la monade centrale d’un tourbillon, un soleil entouré de ses planètes auxquelles il ne marchanderait pas sa lumière et sa chaleur.

Et en même temps, la belle âme est portée aux illusions. Elle est jeune, elle reste longtemps jeune ; elle a de la naïveté, de la candeur ; l’expérience ne l’instruit pas. Elle se persuade que, si le monde la repousse, c’est le résultat d’un malentendu. Comment peut-on repousser son bonheur ! La conversion du monde ! voilà le rêve que poursuit obstinément la belle âme. Et cette illusion, qui lui est si chère, qui est sa vie, ce n’est qu’après avoir tout essayé qu’elle y renoncera ; et du même coup elle renoncera à se sentir vivre. Supposons le même idéalisme allié à un autre tempérament ; supposons une âme qui n’est pas naturellement tendre et aimante ; et qui, elle aussi, nourrit un idéal qui fait tout son être, mais qui, voyant dès le début les hommes tels qu’ils sont, renonce à leur prêcher l’idéalisme ; et qui sent sa solitude et l’impossibilité où elle est d’en sortir, et qui proclame orgueilleusement cette solitude, comme une marque éclatante de sa grandeur et de sa supériorité, et nous aurons l’égotiste, que nous pourrons appeler tour à tour René, Adolphe ou Obermann Et dans ces trois variétés du même type, se trouvent les rêves, les passions et les ennuis à l’usage de l’égotisme.

Il faut d’abord se bien représenter l’époque où parurent ces trois romans nés dans les premières années du XIXe siècle. La