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se transformant en beauté définitive, par la seule franchise d’un œil clairvoyant et attentif, d’une intelligence sensible et réfléchie, d’une âme chaleureuse et profonde. La nature animale qui tenait une si grande place dans l’admiration et la tendresse de saint François et qui allait en tenir une si grande dans l’œuvre de Giotto, le fils du paysan, le petit gardeur de troupeaux, se montre déjà ici avec une étonnante vérité. Le cheval, de grandeur naturelle, d’où est descendu François et qui penche la tête pour brouter le gazon, tandis que son maître est en train de converser, est aussi vrai que les figures humaines. Il faudra longtemps après Giotto et ses collaborateurs, il faudra plus d’un siècle avant que Masaccio, pour les gens, Vittore Pisano et Jehan Fouquet, pour les bêtes, retrouvent cette netteté de vision et cette justesse d’exécution.

Que d’heures on passe, que de jours on pourrait passer à s’étonner et réfléchir devant ces manifestations juvéniles d’un incomparable génie ! Tous les problèmes de l’art pictural, tous ceux que les quattrocentistes florentins et vénitiens, que Léonard de Vinci et Michel-Ange, résoudront ou s’efforceront de résoudre, problèmes de composition et d’expression, de formes et de lumières, de perspective et d’anatomie, de rythmes linéaires et d’orchestrations colorées, s’y trouvent déjà indiqués et posés, avec une autorité magistrale et définitive, par ce prodigieux créateur. Si, dans la Vision des Armures et celle du Crucifix parlant, où le château féodal et l’église ruinés forment le décor important, l’effet de perspective est encore incertain, on l’y voit, cependant, attentivement cherché, et l’exactitude, dans la structure et l’ornementation architecturale, est déjà plus scrupuleuse. Toute la virilité expressive du dramaturge et du psychologue se développe enfin dans la Rupture avec son père, devant l’évêque d’Assise, quand le jeune converti, à qui Bernardone reproche ses pieuses prodigalités, se dépouillant brusquement de ses habits, les lui jette à terre avec son argent, tandis que l’évêque couvre sa nudité de son manteau. La mise en scène prêtait aux gesticulations violentes, mais l’artiste a réservé ces attitudes et ces explosions passionnées, où il excellera, pour des tragédies plus graves encore. Ici, tous les sentimens profonds de colère offensée chez le père, de conviction énergiquement résignée chez le fils, de dignité compatissante chez l’évêque, d’étonnement ou de curiosité chez les témoins, se traduisent en