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justesse. C’est dans leurs nobles et vivantes statuettes que les peintres ont pu et dû apprendre ce qui leur manquait encore, la vivacité des formes et le sentiment de la beauté.

A quelle époque fut entreprise la décoration picturale de la Basilique d’Assise ? Vers 1236, probablement. Cette année-là Frère Elie, à l’apogée de son pouvoir, s’y fait peindre, à genoux aux pieds du Christ, par Giunta, de Pise. Le tableau, signé et daté, a disparu depuis deux siècles, mais plusieurs crucifix, à Pise, un triptyque, à Pérouse, avec un saint François, presque identique à celui d’Assise, nous peuvent donner idée de sa manière : c’est encore du byzantinisme, mais déjà inquiet et soucieux de vérité. On a donc pu, sans invraisemblance, lui attribuer les fresques, supprimées, en grande partie, par l’ouverture des chapelles latérales, dans la nef inférieure, et dont quelques fragmens, presque invisibles, achèvent de périr dans les écoinçons des arcades, au-dessus des piliers. On a proposé, aussi, les noms de Fra Giovanni Torriti, le Florentin, et de Guido, le Siennois, sans preuves plus certaines. Quel qu’en soit l’auteur, son œuvre imparfaite marque avec netteté le premier pas vers la libération prochaine, dans la conception et dans l’exécution. Ne fut-ce pas alors, en effet, une innovation hardie de substituer au parallélisme traditionnel et officiel, déjà huit fois centenaire de la Bible et de l’Évangile, le parallélisme de la Légende du Christ et de celle de saint François ? Rien ne dénote mieux l’extraordinaire enthousiasme qu’excita la conformité, désirée et réalisée, sur tant de points, par le nouveau Christ avec l’ancien. D’un côté donc, voici quelques acteurs de la Passion divine, dans les vestiges d’un Crucifiement, d’une Déposition de Croix, d’un Ensevelissement. De l’autre côté, face à face, on voit ceux de la Passion humaine, en des épisodes déjà populaires de la Légende franciscaine, la Rupture de François avec son père, le Songe d’Innocent III, les Stigmates, l’Examen du cadavre. Ici, l’effort est visible pour traiter avec vraisemblance des sujets contemporains. Premier rappel, timide encore, mais sérieux et sincère, fait à la vérité, par le génie toscan ! En admirant la loyauté de cet art maladroit, mais plein de promesses, on ne peut que s’associer aux sentimens de M. Pératé : « Ces pauvres fresques nous émeuvent par l’idée de tout ce qu’elles ont libéralement offert à Giotto. Si elles n’ont pas éveillé son génie, elles l’ont du moins inspiré profondément… Quel qu’il soit, ce