Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/792

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

évolution significatives de l’iconographie évangélique et de l’art légendaire. C’était l’usage alors de suspendre, dans les églises, de grands Crucifix de bois et des Ancone avec images du Christ et de la Vierge, sur la poutre transversale, à l’entrée du chœur, au-dessous de l’arc triomphal. Sous l’inspiration franciscaine, les deux saintes effigies modifient, aussitôt, dans l’esprit nouveau, leurs attitudes solennelles et rigides, respectées par les arts byzantin et roman. Une longue suite de reproductions données par M. Venturi, dans sa Storia dell’ arte italiana, permet de constater avec quelle rapidité s’opéra ce rapprochement de la divinité et de l’humanité, par la communauté des souffrances. A Spoleto, Assise, Arezzo, Florence, Pise, dans toutes les villes de Toscano-Ombrie, avant la révolution franciscaine, « Le Christ, dit M. Venturi, très calme, pend sur la croix, tête dressée, yeux ouverts, impassible, comme si les clous ne lui avaient pas transpercé pieds et mains ; il étend horizontalement les bras, sans effort, les pieds appuyés sur une tablette ou une corniche, sans plis ni torsions dans les jambes. » Mais aussitôt que l’esprit franciscain a réveillé la pitié dans l’âme des foules, l’âme des artistes en est également émue. « Il semble qu’un frisson agite le Christ suspendu. Il s’affaisse de tout le poids de son corps, sur ses bras, il clôt les yeux comme en un spasme atroce, le front sillonné de rides, les doigts contractés, le corps tordu, les pieds raidis sur la tablette infâme. » Saint Bonaventure pourra bientôt dire : « Son beau visage pâlit, il agonise comme nous, les mortels, ses deux yeux se voilent, il laisse tomber sa tête sur ses épaules, en sortant de cette vie douloureuse. » La maladresse inquiète des peintres encore tâtonnans, dans ces premières recherches de vérité, accentue, avec une rudesse naïve, l’angoisse touchante ou effrayante de cette agonie divine. Presque toutes les mêmes villes en offrent des exemples significatifs à côté des types byzantins.

Pour la Vierge-Mère, il en va de même. C’est avec plus de hâte encore et de variété qu’on la voit s’humaniser et se familiariser. Ne s’agit-il pas de ce qu’il y a de plus agréable aux yeux de l’homme, de plus doux à son cœur, la femme et l’enfant ? Jusqu’alors la Vierge trônant, Impératrice couronnée, grave, solennelle, présentait des deux mains l’enfant, assis sur ses genoux, drapé dans sa toge, lui aussi, grave, droit, de face,