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mélodie au chant d’une servante qui, en traversant la cathédrale de Pisé, chantonnait :


E tu ne cure de me, E no curaro de te[1]. »


Si Henri de Pise était à la fois poète, musicien, peintre, il trouvait, dans son convertisseur, un poète non moins sensible à la peinture qu’à la musique. On ne saurait s’étonner de cette indulgence du nouveau Christ pour les arts plastiques, si l’on se souvient qu’élevé dans une contrée pleine encore de monumens, ruines et débris antiques, peuplée aussi d’églises où la mosaïque la peinture, la sculpture et l’orfèvrerie trouvaient toujours quelque place, il a l’imagination hantée de souvenirs sculpturaux et colorés.

C’est par l’intermédiaire d’un Crucifix peint (conservé dans l’église Sainte-Claire d’Assise) qu’il a son premier entretien avec le Christ. Les réminiscences de l’Evangile et de la Bible, des poèmes chevaleresques, des chansons provençales s’associent, constamment, à ses vives impressions pour fournir à ses visions des formes polychromes d’une singulière précision. Giotto et ses successeurs, pour créer le nouvel art historique, n’auront qu’à fixer sur les murs ou le bois quelques-uns des scénarios écrits sous sa dictée, par les compagnons du Saint, témoins de sa vie, Thomas de Celano, Frère Léon, ou leur continuateur, saint Bonaventure. Avec quelle discrétion excessive cependant les artistes du Moyen âge et de la Renaissance ont puisé dans l’énorme collection de tableaux vivans accumulés, durant un siècle, par l’imagination enchantée de tous ces délicieux légendaires ! Combien il en reste encore d’oubliés et qui devraient tenter les peintres modernes si leur dilettantisme indifférent et leur virtuosité sensuelle pouvaient retrouver la fraîcheur de sentiment et la simplicité d’expression nécessaires en une semblable tâche !

Lorsque, au sortir de sa longue convalescence, le jeune François, ambitieux de gloire militaire, s’apprête à rejoindre l’aventurier Gauthier de Brienne, c’est d’abord la légende de notre, saint Martin qui l’encourage et l’inspire. De même que l’officier romain, aux portes d’Amiens, partagea son manteau avec un miséreux, il offre, aux portes d’Assise, son équipement à un

  1. G. Joergensen, Saint François d’Assise, p. XXXVII.