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curiosité insatiable et encyclopédique, de ces connaissances techniques et pratiques, que l’on constate alors chez bon nombre d’évêques féodaux et d’abbés bénédictins. Rien qui rappelle chez lui les efforts personnels déployés pour encourager les rares artistes de leur temps, pour en susciter, instruire, former, en plus grand nombre, de plus habiles, par l’évêque de Milan, Angilbert, les abbés de Saint-Gall et Cluny, l’évêque d’Hildesheim, Bernhardt, les abbés Guillaume à Dijon, Didier au Mont Cassin, Suger à Saint-Denis, etc., tous amateurs et connaisseurs instruits par leurs études et par leurs voyages, quelques-uns même de véritables professionnels, sculpteurs, peintres, architectes. Il ressemble moins encore à ces chefs d’Etat, disposant des ressources publiques pour satisfaire les devoirs de leurs charges, les instincts de leur goût, les besoins de leur foi, par la restauration et l’imitation des monumens anciens, la construction et le décor d’édifices nouveaux religieux ou utilitaires, les papes, lettrés et militans, qui, depuis Pascal II jusqu’à Innocent III, n’ont cessé de relever et d’embellir Rome, les doges Orseolo de Venise, et surtout à son contemporain, l’autocrate polyglotte et dilettante, éclectique et libre penseur, son rival en popularité, l’empereur Frédéric II. S’il a pu et dû connaître les moines artistes et ouvriers des monastères cisterciens à Fossanova, Casamari, S. Galgano, il ne semble pas qu’il ait eu le loisir de leur demander et d’en recevoir des enseignemens techniques.

S’il met en mouvement, avec une telle rapidité et un tel succès, les imaginations des artistes comme il a remué les âmes de la foule, c’est plutôt par contre-coup, par une suite d’actions réflexes prolongeant l’effet de sa parole et de sa pensée. Mais l’élan irrésistible que son enthousiasme, à la fois mystique et humain, idéaliste et naturaliste, imprime à l’activité des poètes, musiciens, architectes, sculpteurs, peintres, est d’autant plus fécond et durable, que cet élan n’est point celui d’un retour matériel à l’étude et la copie des œuvres antiques ou étrangères. Mais l’élan chaleureux et spontané de l’imagination, agitée et rajeunie par une intelligence nouvelle de la nature et de la vie, le seul élan fécond, vraiment et puissamment créateur. Par la libre pureté de la foi naïvement héroïque, avec laquelle il renouvelle et ravive la pensée évangélique, par l’admiration, affectueuse et passionnée, qu’il professe pour toutes les beautés du monde visible, par l’amour compatissant qu’il excite, autour