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pas été décachetée. La jeune femme l’examina et se sentit soudain défaillir.

— Comment ! Toutes les autres sont de même, elles n’ont jamais été ouvertes ! s’écria Andora, en élevant de plus en plus la voix ; mais Lizzie lui saisit le poignet.

— Donnez-les-moi, je vous prie.

— Oh ! Lizzie, Lizzie ! — Andora, pâle de colère et de pitié, ne lâchait pas la liasse. — Lizzie, ce sont les lettres que je mettais à la poste pour vous, les lettres auxquelles il ne répondait jamais. Voyez donc !

— Donnez-les-moi, je vous prie. Et Lizzie s’en empara.

Les deux femmes se regardèrent bien en face, Andora toujours à genoux, Lizzie immobile devant elle, les lettres à la main. Le sang lui était monté au visage, bourdonnait dans ses oreilles, affluait à ses tempes. Elle se sentait faible et glacée.

— Il y a dû avoir quelque complot, quelque conspiration ! s’écria Andora, si agitée par sa découverte qu’elle parut complètement absorbée par le côté romanesque de l’affaire.

Lentement, Lizzie détourna les yeux et les reporta sur l’enfant assis à ses pieds et suçant avec placidité les glands du sachet. Elle se pencha sur lui et le lui enleva, non sans lui avoir arraché un cri de rage. Elle le souleva alors dans ses bras, mais pour la première fois, elle ne sentit pas, au contact du petit corps, cette chaleur mystérieuse qui semble faire de la mère et de l’enfant un seul et même être. Il lui parut lourd et gênant, comme si c’était l’enfant d’une autre : et ses cris l’ennuyèrent.

— Je vous en prie, Andora, emmenez-le.

— Oh ! Lizzie, Lizzie ! gémit son amie.

Lizzie lui tendit l’enfant, et Andora, se relevant, le prit dans ses bras.

— Je comprends tout ce que vous devez souffrir, soupira-t-elle par-dessus les boucles blondes du petit.

Lizzie, à travers le désarroi de sa pensée, eut comme un rire intérieur. Andora croyait toujours comprendre !

— Dites à Marthe de l’emmener avec elle lorsqu’elle ira chercher Juliette à l’école.

— Oui, oui, ma chérie ! — Et, la couvant des yeux, Andora insista : « N’essayez donc pas de vous contraindre devant moi ! »

Le petit garçon hurlait toujours. Par-dessus l’épaule d’Andora, il s’efforçait de ravoir le sachet.