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un des moyens d’action qui nous font le plus respecter. Nous espérons toutefois le garder longtemps encore, et, en tout cas, nous le possédons aujourd’hui dans sa plénitude. Cet avantage, toutefois, ne va pas sans quelques inconvéniens. On s’est un peu trop habitué au dehors à regarder la France comme la mère, ou plutôt comme la nourrice des emprunts du monde entier, et on s’adresse à elle, pour avoir de l’argent, comme si elle devait obligatoirement et indéfiniment en fournir. N’en a-t-elle pas assez, dit-on, pour elle et pour tous, et au surplus l’argent n’est-il pas une marchandise comme une autre, que celui qui en a doit livrer si on lui en donne le prix ? Avec ce raisonnement on arrive vite à conclure que le créancier est l’obligé du débiteur. Le premier ne touche-t-il pas l’intérêt de son argent, et cet argent n’est-il pas en sûreté dans les mains du second ?

Mais là, précisément, est la question. Il est arrivé quelquefois que le créancier a cessé de toucher l’intérêt qu’on lui avait promis, et que l’argent prêté s’est perdu entre des mains prodigues. Cela est arrivé même en Turquie. Sans doute, disent les Jeunes-Turcs, seulement c’était autrefois, au temps du despotisme qui facilitait toutes les dilapidations ; aujourd’hui, les choses ont bien changé, nous avons une constitution faite d’après les derniers modèles libéraux, nous sommes donc au niveau des nations les plus politiquement civilisées et nous offrons toutes les garanties de solvabilité désirables. C’est l’affirmation des Jeunes-Turcs, c’est leur prétention, et nous sommes convaincus qu’ils la réaliseront un jour plus ou moins prochain, mais ils ne l’ont pas encore réalisée. Il n’est pas tout à fait exact de dire qu’une constitution vaut toutes les garanties en matière financière ; une bonne administration est encore préférable, et cette bonne administration n’existe pas à Constantinople. Ce n’est pas un reproche que nous adressons à la Jeune-Turquie ; rien ne serait plus injuste que de le lui faire. Il faut peu de temps pour rédiger une constitution ; il en faut bien davantage pour créer et pour faire fonctionner une administration. Désireux d’y réussir, le gouvernement jeune-turc avait fort bien senti à l’origine qu’il avait besoin de conseils étrangers et il s’était adressé à nous pour en avoir. Aussitôt un des fonctionnaires les plus élevés et les plus distingués de notre propre administration financière, M. Laurent, a été mis à sa disposition. Ce fonctionnaire éminent a été d’abord bien écouté, puis moins bien et finalement plus du tout : on s’est appliqué à le décourager. Il en est résulté que les réformes indispensables à l’organisation financière de la Turquie sont encore dans le devenir ;