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Malheureusement, l’intelligence spéciale ne suffit pas dans les grandes affaires, il y faut encore de la mesure et du tact. Prenons un exemple pour nous faire mieux comprendre. Nous avons reconnu plus haut les motifs très avouables, très légitimes même, qui avaient pu porter la Turquie à s’entendre avec la Roumanie. Néanmoins les puissances qui ont formé la triple entente ont pu se demander jusqu’où allaient les engagemens réciproques des deux pays, et ils peuvent aller loin. Le gouvernement turc aurait dû, ce semble, s’appliquer à les rassurer. L’a-t-il fait ? Il a fait tout le contraire. Les journaux ont crié bien haut que les intérêts de la Turquie étaient du côté de l’Allemagne, que l’Allemagne seule pouvait les garantir, - que l’amitié de l’Allemagne valait seule la peine d’être recherchée : en un mot, c’était un brusque retour à la politique d’Abdul-Hamid, sans les compensations habiles qui l’avaient rendue acceptable pour tous. La France a été particulièrement maltraitée dans cette explosion de germanophilisme, comme si on avait voulu se venger contre elle de la sympathie débordante qu’on lui avait manifestée à l’origine. Si nous citions quelques passages des journaux jeunes-turcs, on serait surpris de leur violence injurieuse à notre égard, et on pourrait très légitimement en être indigné. Mais ce n’est pas le sentiment que nous cherchons à exciter chez nos lecteurs. Que nous importent ces effervescences passagères ? La France est au-dessus de certaines attaques ; elle peut les dédaigner au point de ne pas même s’en occuper. L’Allemagne a su attendre son heure, nous pouvons attendre la nôtre avec la même impassibilité et la même dignité.

Il faut parler ici de l’emprunt que le gouvernement ottoman a essayé de faire à Paris et dont nous avons dit un mot au début de notre chronique : c’est en effet à propos de cet emprunt et des conditions que nous y avons mises que les colères se sont, à Constantinople, déchaînées contre nous. On sait que la France est, sinon le plus riche pays du monde, au moins celui où il y a le plus d’argent disponible ; aussi toutes les fois qu’un pays étranger en a besoin, est-ce de notre côté qu’il se tourne. Cette puissance financière incomparable est pour nous une grande force : elle nous vient de l’esprit d’économie qui est chez nous merveilleux. Qu’on nous permette de le dire sans y insister, nous craignons fort que les grandes réformes dont nous sommes menacés, en supprimant les bénéfices de l’économie, en les confisquant au profit du fisc, n’atteignent l’économie elle-même et ne nous corrigent définitivement de ce que quelques personnes considèrent comme un travers : du coup, nous aurons perdu