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quelque faveur considérable, il s’appliquait sinon à effacer, ce qui n’était pas toujours possible, du moins à atténuer les susceptibilités que d’autres en auraient pu concevoir ; il leur donnait aussi des marques de sa bonne volonté. Ce n’était pas là de la grande politique sans doute, mais c’était du savoir-faire et, grâce à cette adresse, Abdul-Hamid a régné longtemps sans jamais provoquer contre son Empire un sérieux danger extérieur.

Néanmoins, lorsqu’il est tombé, l’influence allemande a été atteinte. L’explosion a paru être seulement libérale : depuis, on s’est aperçu qu’elle était beaucoup plus nationaliste encore que libérale. Mais, au premier moment, les grandes puissances occidentales, la France, l’Angleterre, les pays où la liberté règne et où les parlemens sont les vrais maîtres, étaient l’objet principal et même exclusif de manifestations chaleureuses. C’est au chant de la Marseillaise que la révolution s’est faite. L’esprit d’affranchissement qui soufflait si puissamment sur les rives du Bosphore semblait venir tout droit de France, comme en venaient beaucoup de Jeunes-Turcs, dont quelques-uns n’étaient plus jeunes, qui y avaient trouvé un asile et, ce qui est mieux encore, de la sympathie. Cette sympathie les suivait d’ailleurs dans leur pays où ils rentraient en triomphateurs, et elle s’attachait avec un élan tout désintéressé au régime purifié qu’ils allaient fonder. On sait à quel point la Jeune-Turquie a été populaire chez nous. L’opinion française était séduite par le phénomène d’une révolution qui, n’ayant rencontré aucune résistance, avait pu se faire sans effusion de sang, en toute générosité de sentimens, en plein idéalisme. Notre politique s’est naturellement conformée à ces dispositions : ayant donné nos cœurs à la Jeune-Turquie, nous lui avons donné tout le reste, appui moral, aide financière. Que faisaient, pendant ce temps-là, l’Allemagne et son ambassadeur ? Rien, ils regardaient et attendaient, également éloignés de la froideur et de l’empressement, car ils étaient au fond indifférens à la révolution turque et se demandaient seulement comment ils y feraient prévaloir leur intérêt. Malgré les services que l’ancien sultan leur avait rendus, ils n’avaient garde de se compromettre pour lui, mais ils ne faisaient aucune avance à ses successeurs, convaincus que ceux-ci leur en feraient un jour.

Cette conduite, dont les circonstances leur faisaient peut-être une obligation, leur a parfaitement réussi. Les enthousiasmes de la première heure ont eu, en Turquie, la durée des feux de joie. Quand tout cela a été tombé ou éteint, on a aperçu l’ambassade allemande qui était restée immobile, expectante, imposante : cette attitude a frappé.