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concentrations de troupes sur sa frontière méridionale pour obliger l’armée bulgare à se diviser et pour briser son élan au moment où elle s’apprêterait à le prendre contre l’armée ottomane. Il était donc tout naturel que la Turquie se tournât du côté de la Roumanie. C’était son intérêt de le faire, et nul ne peut s’étonner qu’elle s’en soit inspirée.

L’intérêt de la Roumanie, nous l’avons dit, n’apparaît pas ici avec la même clarté. La Roumanie ne saurait voir d’un œil tranquille grandir à côté d’elle un État jeune, entreprenant, ambitieux, qu’on a appelé le Piémont des Balkans, et dont la puissance, qui tient déjà la sienne en balance, peut la mettre un jour en échec. Il est peu probable qu’elle soit elle-même appelée à grandir beaucoup. Si elle devait le faire, ce serait dans une mesure restreinte et sans doute au détriment de l’Autriche qui, dans la mosaïque de nationalités diverses qu’elle régit, détient un certain nombre de Roumains. Quoi qu’il en soit, son intérêt, sa croissance normale étant limitée, est que d’autres ne croissent pas sur sa frontière dans des proportions qui deviendraient pour elle inquiétantes. Mais comme rien ne la menace immédiatement et qu’elle jouit en Europe de sympathies presque générales, n’y aurait-il pas de sa part quelque imprudence à s’engager dans des complications dont nul ne saurait, en ce moment, calculer les développemens et les aggravations possibles ? Garder sa liberté est aussi une force. La Roumanie l’a compris jusqu’à ce jour. On sait que son roi, politique fort habile, est un Hohenzollern ; il ne faut assurément pas l’oublier car il ne l’a jamais oublié lui-même ; on peut deviner de quel côté sont ses préférences ; il a été un agent très efficace du germanisme en Orient. Toutefois son activité a toujours été circonspecte. Quelles influences ont pu, en ce moment, l’emporter dans son esprit et dans celui de son gouvernement ? Il est difficile de le dire. Mais s’il est entré dans des arrangemens politiques et militaires tout à fait précis avec la Porte, il ne l’a sûrement pas fait sans une, entente préalable avec l’Allemagne et l’Autriche. On en a conclu un peu vite que la Roumanie et la Porte avaient adhéré à la Triple-Alliance, conclusion probablement excessive, si on entend par laque le fait est déjà réalisé, mais probablement vraie, si on se borne à parler de tendances que des faits ultérieurs pourront accentuer et déterminer. Tout cela mérite sans doute une grande vigilance de notre part et de celle des puissances qui composent avec nous la triple entente, mais il est encore un peu tôt pour sonner la cloche d’alarme. La Turquie et la Roumanie, même approuvées, même suggestionnées par l’Allemagne et l’Autriche, ont pu préparer entre elles des