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mettre à l’œuvre, en consacrant ses capitaux, s’il en possède, à la mise en valeur des habous qu’on lui attribue. En appliquant ces deux moyens, le gouvernement ne se bornait pas à attendre la clientèle ; son activité se donnait libre carrière. Depuis 1896, il a organisé une propagande active, brochures, conférences, voyages répétés dans tous les coins de la Tunisie, pour révéler les immenses ressources de la colonie à des groupes sans cesse renouvelés et choisis dans des milieux sociaux très divers. Que n’a-t-on pas tenté ? On a transplanté sur cette côte africaine des pêcheurs bretons, habitués à « tenir » la mer agitée du Nord, leur voilure au bas ris, ballottés par les lames vertes, fouettés par les grains du « suroît. » Faut-il avouer que cette expérience de colonisation à rebours resta sans lendemain ? Aveuglés par le soleil, accablés par la chaleur, ignorant les méthodes du pêcheur indigène, ces Ponenlais mouraient de faim et de nostalgie sur la mer tranquille et bleue. Force fut de rendre ces rudes natures à leurs brumes et aux tempêtes hurlantes qui déracinent les pins rachitiques de l’Armorique.

La campagne relative à la petite colonisation nationale est restée sans résultat bien appréciable : un courant migrateur important et continu n’a pu s’établir. On a même signalé, en 1908, un fléchissement » prononcé des ventes ; bon nombre de lots, offerts par le domaine à nos colons, n’ont pas trouvé preneurs. C’est que nos paysans, routiniers par essence, rivés au sol natal, s’expatrient peu. Madagascar, Taïti, Sénégal, Tunisie, résonnent à leurs oreilles comme les notes d’une musique barbare. Le court voyage de Marseille à Tunis leur paraît aussi aventureux que celui des Argonautes à la conquête de la Toison d’or.

Ils aiment mieux végéter en France comme simples fermiers révocables que d’entrer en possession, sans bourse délier, de terres fertiles outre-mer, moyennant un exil, même intermittent. En 1908, sur 840 immigrans français, on ne comptait que 337 agriculteurs, dont 156 venaient s’établir à leur compte, et 181 comme employés. Somme toute, la population agricole d’origine métropolitaine, dispersée aux quatre coins de la colonie, ne dépasse pas 4 000 individus, contre 12 000 Italiens. Toujours la proportion de 3 pour 1.

Cette immigration nationale, si difficile à réaliser, serait pourtant le seul moyen efficace d’équilibrer ce que parfois on nomme le « péril italien, » et ce que nous appellerons