Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ce temps : elles ne le deviendront que par la suite, quand les Allemands s’instruiront dans l’étude de Martin. S’il procéda d’une école, ce fut uniquement de l’école flamande bourguignonne. Cet idéaliste a donné à Colmar la plus magnifique couronne d’art : il a fait de cette petite ville le lieu désormais illustre où l’art allemand s’est inspiré et formé.

Il est des villes pareilles aux visages humains : à peine les a-t-on vues, et l’on éprouve pour elles de la sympathie ou de l’antipathie : à peine a-t-on fait quelques pas, et l’on sait qu’on voudra y rester ou qu’on se hâtera d’en sortir. Il y a, dit La Bruyère, des lieux que l’on admire, il y en a d’autres qui touchent et où l’on aimerait à vivre. Si l’on y reste, chaque journée écoulée procure une joie nouvelle : leur compagnie, comme celle d’un honnête homme ou d’un esprit délicat, est une source de plaisirs, et on finit par les aimer, comme un être vivant, mais, plus fidèles que les êtres vivans, elles ne déçoivent jamais. Colmar est une de ces villes-là. J’y ai vécu bien des jours de ma vie, mais chaque fois que j’y retourne, je ressens la même douce émotion. Quand je pense à l’Alsace, c’est d’abord vers le coin de terre où repose mon père que s’en va ma pensée, puis vers elle, car, heureusement encore à peu près oubliée des modernes architectes allemands, elle présente l’image presque intacte de la ville alsacienne, digne, charmante, glorieuse, toute pleine d’un noble passé, pleine aussi d’art et de poésie.


PAUL ACKER.