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princes et princesses du sang, aux grands dignitaires ecclésiastiques ou militaires, et encore ces hommages étaient-ils soigneusement nuancés. La compagnie tout entière ne se déplaçait que pour le Roi ; pour les princes, elle ne rendait visite qu’au chef-lieu judiciaire, et par la voie d’une députation ; elle ne se départit de cette règle qu’en 1776, pour saluer à Strasbourg la dauphine Marie-Antoinette. Un conseiller, quand il remplissait une mission du Conseil, était l’objet des plus grands honneurs. Quand il se rendait, par exemple, à Strasbourg pour installer un préteur royal, une escorte militaire le conduisait jusqu’à l’hôtel de ville ; là les magistrats de la ville l’attendaient à la porte ; il entrait, s’asseyait sur un carreau en velours cramoisi galonné d’or et, gardant son chapeau sur la tête, il procédait à l’installation du préteur par un discours. Cela terminé, le préteur, le slettmestre et l’ammestre-régent l’accompagnaient jusque sur le palier du grand escalier, et le stettmestre et l’ammestre poussaient jusqu’à son carrosse, que la ville mettait à sa disposition pendant toute la durée de son séjour. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le premier président de la Cour réprimandait les conseillers qui n’usaient pas de voiture pour leurs courses et visites.

On ne s’étonne point aussi que les conseillers ne souffrissent pas le moindre empiétement sur leurs droits. Le commandant pour le Roi, au xviu0 siècle, avait 3 100 livres en argent, 80 cordes de bois, 400 fagots, 15 milliers de foins, plus le logement, l’écurie, une vigne, la jouissance des fossés, des remparts et du chemin de ronde entre la porte de Brissac et le jardin de l’hôpital, une glacière, un pré, quelques champs ; il était noble, de vieille famille, et enfin il représentait l’autorité suprême : mais rien n’empêcha jamais le Conseil de se dresser contre lui, quand il jugea qu’il le devait. En 1748, M. de Vanolles, intendant d’Alsace, ayant à nommer un subdélégué à Colmar, le choisit en la personne de M. Muller, membre du Conseil souverain. Tout le Conseil se soulève et proteste, en invoquant l’incompatibilité des charges judiciaires et des charges administratives, et le danger qui résulterait de ces doubles fonctions de magistrat et d’agent de l’intendance, les unes se trouvant souvent en conflit avec les autres. On en réfère au chancelier d’Aguesseau ; d’Aguesseau rejette les protestations des conseillers ; les conseillers persistent, il faut toute l’énergie patiente de