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étranger ne pouvait ni témoigner, ni demander le combat judiciaire contre un bourgeois, sinon de l’aveu de ce dernier ; un étranger qui blessait un bourgeois lui devait une compensation, et s’il ne l’acquittait pas, le bourgeois pouvait user de représailles, sans donner lieu à aucun recours contre lui ; un bourgeois pouvait ne pas accepter la sentence qui le frappait et se pourvoir devant les tribunaux des autres villes qui avaient également des codes ; les bourgeois étaient autorisés à posséder des fiels ; un fils de bourgeois atteignait sa majorité à quinze ans. Encore au XVIIIe siècle n’étaient reçus bourgeois que les habitans qui, au préalable, produisaient des certificats de bonnes vie et mœurs, et les preuves suffisantes qu’ils possédaient 1 000 livres de rente en bons effets. Ainsi se constituait, avec des accroisse-mens continuels, enceinte agrandie, fortifications plus modernes, une ville prospère imprégnée de ce solide esprit bourgeois qui marque l’existence communale au moyen âge. La rivière de l’Ill commençant à être navigable sur son territoire et la batellerie transportant à Strasbourg les vins du cru, elle fut très vite l’entrepôt de la Haute-Alsace, et de bonne heure le commerce assura sa fortune. Dès les premières années du XVIe siècle, elle avait des rentiers que l’on ne savait comment classer dans les corps de métier. Ville de commerce, elle était déjà aussi une ville religieuse, abritant huit couvens, parmi lesquels le couvent des Unterlinden devait exalter au plus haut point la mystique chrétienne. Ville religieuse, elle était encore une ville d’art et de belles-lettres ; les fameux imprimeurs Decker s’étaient fixés dans ses murs ; le poète Wickram y représentait ses drames : les Dix âges de la vie, le Fidèle Eckart, l’Enfant prodigue, Tobie ; Martin Schongauer naissait à Colmar, y inventait l’art de la gravure et y peignait ses chefs-d’œuvre ; au sud de la ville, Mathias Grunewald ornait de sa terrible Crucifixion l’église des Antonites à Isenheim. Plus les années s’écoulaient, et plus les classes élevées cultivaient les lettres françaises, les jeunes gens venant étudier chez nous la langue, la noblesse se piquant d’y apprendre les belles manières, tous considérant Paris comme la ville par excellence. Le bourgeois de Colmar est formé ; il a acquis ce qui le particularisera toujours : une force tranquille, une grande conscience, une culture intellectuelle très affinée, mais associée au souci des choses positives, un mélange d’idéalisme et de sens