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— Vous vous l’êtes demandé ? dit-elle, vite ressaisie, et avec un sourire.

— En pouvez-vous douter ? — Son regard resta posé sur elle. Oui, voilà sans doute ce que vous avez pensé de moi.

Elle eut envie de lui répondre : « Ma foi, je n’ai pas du tout pensé à vous, » mais la peur de déshonorer ses chers souvenirs la retint. S’il était de bon goût, pour Deering, d’ignorer, il ne saurait être de bon goût, pour elle, de renier.

— Voilà donc l’opinion que vous aviez de moi ? Elle entendit qu’il répétait ces mots avec une insistance attristée. Alors, relevant vivement la tête, elle prononça résolument :

— Que pouvais-je penser ? Je n’ai pas reçu un mot de vous.

Si elle avait attendu, et peut-être espéré l’embarrasser avec cette réponse, le regard tranquille dont il l’accueillit prouva qu’elle avait mal calculé.

— C’est vrai, vous n’avez pas eu un mot de moi. J’ai observé mon vœu.

— Votre vœu ?

— Que vous ne recevriez pas un mot, pas une syllabe. Oh ! je l’ai observé rigoureusement.

Le cœur de Lizzie se mit à battre avec un bruit qui résonnait à ses oreilles couvrant de son vacarme la petite voix grêle de la raison, qu’elle tâchait vainement de discerner.

— Qu’est-ce que c’est que ce vœu ? Pourquoi ne devais-je pas recevoir un mot de vous ?

Il était assis, sans un geste, la tenant sous son regard, un regard si doux, qu’il semblait presque pardonner.

Puis, brusquement, il se leva, et vint s’asseoir tout auprès d’elle, comme si rien entre eux n’avait été changé ; et Lizzie instinctivement se retira un peu ; mais il ne parut pas remarquer ce geste et la quitta enfin des yeux, pour jeter lentement un regard circulaire sur le petit salon.

— C’est charmant, ici. Oui, les choses ont changé pour vous, dit-il.

L’instant d’avant, elle souhaitait qu’il évitât la faute d’un retour vain sur le passé. C’était comme si toute sa tendresse d’autrefois eût redouté de le voir tellement à son désavantage, et se fût dressée pour le défendre contre ce péril. Mais sa façon d’éluder l’exaspérait, et soudain elle eut la tentation irraisonnée de l’attaquer face à face, avec ses propres armes.