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indépendance, ni son caractère de parti de classe, laissaient entendre, par d’habiles périphrases, qu’ils se rendraient à l’appel du Roi, si la situation l’exigeait, « attendu que la participation à un ministère ne concerne que la tactique. » Le résultat des élections partielles de mai, à leur grande déconvenue, ne leur permit pas de mettre leur décision en pratique. Mais le portefeuille ministériel, comme l’olive mûre, tombera bientôt dans leurs mains.

La social-démocratie allemande est le grand chêne à l’ombre duquel se sont longtemps abrités les partis socialistes du continent : à leurs débuts, ils vivaient de sa sève, de ses subventions. Les circonstances ont empoché le parti de jouer un rôle politique en Prusse et au Reichstag. Son effort soutenu de constance et de patience s’est employé à une œuvre d’éducation, d’organisation, de discipline, de recrutement. Depuis 1907, depuis Stuttgart, le parti qui est de plus en plus ouvrier, déserté par les intellectuels, sauf dans les scrutins, a gagné 100 000 membres, consciens et cotisans : le total s’élève à 720 000. Sa vaste et savante administration emploie 2 500 fonctionnaires appointés. Les recettes annuelles et générales dépassent 1 million de marks, les recettes locales ne sont pas moins importantes. Le tirage de sa presse s’accroît sans cesse. Il dispose de 3 300 000 électeurs. En 1907, les Allemands venaient au Congrès de Stuttgart humiliés par la plus grande défaite qu’ils aient essuyée depuis le prince de Bismarck. Réduits à une quarantaine au Reichstag, ils avaient perdu la moitié de leurs députés. Les élections partielles, grâce au mécontentement suscité par la réforme fiscale, leur ont été depuis si favorables qu’amis et ennemis prédisent qu’en 1911 ils dépasseront la centaine, et formeront le parti le plus nombreux de l’Empire.

Deux tendances les divisent : les Allemands du Sud, Bavarois, Badois, Wurtembergeois, dans leurs Landtags, à base de suffrage plus ou moins démocratique, s’entendent avec les libéraux parfois avec les catholiques ; il leur arrive, malgré la règle inflexible imposée par les congrès et le comité directeur de Berlin, de voter le budget en témoignage de confiance. Ils font même preuve, à l’occasion, d’esprit monarchique, bref, ils vivent sur un pied de paix avec leurs gouvernemens respectifs. Il n’en va pas de même en Prusse et en Saxe. Contre la Prusse militaire, semi-féodale, agrarienne, les social-démocrates arborent la