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De l’autre côté de l’arc, c’est la Via Flaminia qui menait à Rome en traversant le pays des Sénones, l’Ombrie et la Sabine ; et pénétrait dans la Ville éternelle après avoir franchi le Tibre au pont Milvius.

Me voici donc au terme de ma route. Demain, je remonterai vers Venise, fidèle à l’annuel rendez-vous des noces de l’Automne et de l’Adriatique ; puis, ce sera le retour à Paris et la reprise par la vie absorbante et si souvent stérile, jusqu’au jour où j’aurai de nouveau cette nostalgie des terres de lumière, nostalgie irrésistible et violente que les mots ne peuvent exprimer… Ah ! quand on s’embarque, dans l’affairement du départ, au milieu du tumulte de la gare, quand on serre les mains des amis qui vous souhaitent bon voyage, tout en vous enviant, il ne semble pas que cela doive être si court. On a tant de choses à voir, tant de villes à visiter, tant de joies en perspective ! Et voici que tout a passé si vite, si vite, qu’on a l’impression d’avoir assisté à une séance de cinématographe… Dans quelques jours, je repasserai les Alpes, le cœur serré par ce regret de quitter J’Italie qui étreignit jusqu’à madame de Staël, et redisant après elle le vers qui lui vint aux lèvres tandis qu’elle gravissait les lacets de la route du Cenis :


Vegno di loco ove tornar desio


Je ne m’étais arrêté qu’une fois à Rimini, il y a quelques années, entre deux trains, voulant avoir une idée du temple d’Alberti que je désirais depuis longtemps connaître. J’allais vers l’Ombrie et je me souviens, ce même jour, d’un admirable crépuscule sur l’Adriatique et d’une entrée nocturne à Ancône… Il m’est facile d’en retrouver la date : c’était en août 1905, un jour d’éclipsé de soleil. Je me vois encore sur la petite place de San Francesco, rassurant de mon mieux de vieilles femmes qui se lamentaient et s’affolaient à mesure que la lumière s’éteignait… Déjà cinq années… Oh ! devant cet arc d’Auguste sous lequel plus de vingt siècles défilèrent, que sont ces misérables années ? Mais, pour nous, elles comptent autrement, tout au moins pendant que nous sommes encore, suivant la belle image de Dante, parmi les vivans de cette vie qui n’est qu’une course à la mort,


vivi
Del viver ch’é un correre alla morte.