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Né en exil à Florence, il sut toujours rester au-dessus des mesquineries, des jalousies et des haines. Rien n’est plus émouvant, par le sens souverain de la justice et de l’humanité qui s’en dégage, qu’une dissertation sur le droit civil qu’il écrivit un jour, à Bologne, en quelques heures. Et je trouve tout simplement admirable la formule qui termine un de ses ouvrages : « C’est une belle chose que la vertu ; c’est une belle chose que la bonté. »

Son œuvre, à Rimini, ouvre en quelque sorte la Renaissance. Certes, un tel mouvement n’est pas spontané et ne saurait tenir à un homme. C’est le travail de toute une époque et plusieurs générations le préparèrent. Bien avant le XVe siècle, dans tous les domaines de l’esprit et de l’art, des tendances nouvelles s’annonçaient. Saint François d’Assise, Dante, Giotto, Jean de Pise sont des novateurs qui, les premiers, firent éclater les vieux moules où la pensée du moyen âge était enfermée et comprimée. Pour l’architecture, c’est Brunelleschi qui s’affranchit d’abord et commence la réforme ; le Palais Pitti et le dôme de Sainte-Marie-des-Fleurs s’élèvent, à Florence, alors qu’en France se bâtissaient encore des cathédrales gothiques et des demeures privées comme l’hôtel de Jacques Cœur. Mais c’est avec L.-B. Alberti, théoricien plus qu’architecte, que la Renaissance prend conscience d’elle-même et rompt délibérément avec les formes du moyen âge. Il complète et fait triompher le mouvement en en déterminant les principes et en fixant les lois qui devaient le régir. Plus d’ogives, de voûtes sombres « et de ténèbres ! Il faut aller vers la clarté et la vie ; il faut de larges baies et de grands portiques par où puisse entrer la lumière ; il faut que les constructions soient simples et logiques, appropriées aux besoins et au climat. La colonne romaine remplace le pilier gothique et les ordres antiques sont reproduits dans un juste sentiment de leurs proportions ; c’est ainsi que pour la façade de San Francesco, Alberti s’inspira directement et très ingénieusement de l’arc d’Auguste qu’il avait sous les yeux. Telles sont les règles nouvelles. Les architectes de la Renaissance n’auront plus qu’à les appliquer en prenant pour modèle le temple de Rimini.

A l’intérieur, l’habileté d’Alberti ne fut pas moindre ; il sut faire disparaître les briques des murailles franciscaines sous les marbres, les stucs et les dorures. Pour semer partout des images riantes, même sur les tombeaux, et pour écrire le poème