Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Carrache et leurs émules, qui nous donnèrent de fortes et abondantes analyses de la passion. » Comment le merveilleux écrivain, si sensible à la beauté, peut-il préférer l’art des Bolonais à l’art du XVe siècle, à ce radieux et adorable Quattrocento où l’âme ardente et naïve des artistes interroge la nature, à ces œuvres d’impression et de fraîcheur où la vérité et le rêve, l’idéal et la réalité se mêlent si ingénument, à ce printemps du beau dont la sincérité touchante garde je ne sais quel parfum éternellement jeune ? A côté de ces vieux maîtres qui se livrent simplement à leur inspiration, laissent parler leur cœur et atteignent ainsi à la véritable éloquence, les Bolonais me semblent des rhéteurs prodigieusement habiles, érudits et systématiques, qui suppléent à l’émotion par la science et n’arrivent qu’à construire de belles phrases sonores et vides. Leurs œuvres sont d’un dramatique prétentieux. Certes, ils accumulent beaucoup de choses sur une toile, et l’action y paraît intense ; mais en regardant d’un peu près, on voit que c’est une vie factice, due à des formules d’atelier… Et pourtant, ces mêmes œuvres firent les délices du XVIIIe siècle, ce siècle de l’intelligence et du goût. Là où je ne vois que virtuosité et déclamation, les plus fins des hommes admirèrent le feu de la passion. Pour les artistes, Bologne fut alors, autant que Rome, une capitale de l’art ; chez elle, les plus délicieux de nos maîtres apprirent leur métier… Il est vrai que le XVIIe siècle avait bien détruit les chefs-d’œuvre des primitifs et porté aux nues le baroque et le style jésuite… Qui a raison ? Sans doute tout le monde. Dans les ouvrages d’art, il n’y a guère que ce que nous y mettons, et nous les aimons suivant qu’ils répondent ou non à nos sentimens, à nos conceptions, à notre idéal particulier. Pour nous, littérateurs, ce qui est beau, c’est ce qui émeut. Les tableaux ne sont que des cadres à nos rêveries. Nous ne pouvons faire que de la critique subjective, qui n’est peut-être pas la plus mauvaise. Nous ne goûtons pas une peinture à cause de sa difficulté technique ou de l’habileté déployée par l’auteur, mais seulement parce qu’elle nous fait vibrer. Et l’histoire des Bolonais est là pour nous rappeler qu’il ne faut pas vouloir juger pour l’éternité…

Ces mêmes réflexions me viennent devant l’admirable portail de San Petronio. Il y a peu d’années que l’on rend justice à Jacopo della Quercia et, aujourd’hui encore, il n’a pas la