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religieuse qu’il fallait pour l’établissement d’un art logique où la forme serait la servante fidèle de la pensée, où l’expression serait subordonnée à l’idée.

Les trois Carrache eurent cette conception, tout au moins ingénieuse, que pour créer une école modèle, il n’y avait qu’à prendre à toutes les autres ce qu’elles offraient de mieux. Augustin, très ingénument, nous a laissé, dans un poème, le moyen de faire un bon tableau. Il suffit d’y mettre « le dessin des Romains, le mouvement et les ombres des Vénitiens, le beau coloris des peintres lombards, le sublime de Michel-Ange, la vérité du Titien, le goût pur du Corrège, l’harmonie de Raphaël, les solides proportions de Pellegrino, l’invention du docte Primatice et un peu de la grâce du Parmesan. » C’est à cette recette, — que la fin semble rendre tout à fait culinaire, — que nous devons les tableaux que je viens de regarder une fois de plus. Eh bien ! je comprends qu’ils aient plu à l’époque où ils furent exécutés puisqu’ils correspondaient très exactement à une manière de voir et de sentir ; je comprends aussi qu’ils conservent encore la faveur des catholiques et de tous ceux qui cherchent dans l’art des sujets édifians et émouvans ; mais ce que je ne puis concevoir, c’est que, pendant si longtemps, on les ait considérés comme le sommet de l’art.

Certes, je me garde de tomber dans l’excès contraire et je reconnais les grandes qualités de métier déployées dans ces œuvres ; il est naturel qu’un peintre en vante la facture et y trouve des enseignemens. Mais ce qui me surprend chaque fois davantage, c’est que des esprits délicats et fins, des gens de goût, des littérateurs, — et les plus illustres, — se soient également pâmés devant ces toiles déclamatoires peintes avec le cerveau et non avec le cœur. Sans remonter jusqu’à Brosses qui épuise les ressources de son style pour traduire son admiration (miracle de l’art, au-dessus de tout éloge, prodigieux, inexprimablement beau reviennent à chaque instant sous sa plume), je n’ai qu’à ouvrir Stendhal pour y lire que le Guerchin est sublime et qu’Annibal Carrache égale Raphaël. Et, plus récemment, M. Maurice Barrès n’a-t-il pas loué les Bolonais « d’employer toutes leurs facultés lentement acquises pour se hausser à la plus intense exaltation ? » Mieux encore, il n’hésite pas « à préférer aux primitifs et même aux peintres de la première moitié du XVe siècle, le Guide, le Dominiquin, le Guerchin, les