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Nulle âme ne fut à la fois plus frémissante et plus candide, plus vibrante et plus extatique. Mais ne cherchez dans son œuvre ni psychologie, ni intellectualité, ni profondeur de pensée : n’y cherchez que joie de vivre, jouissance sereine et volupté. Jamais la chair féminine ne fut rendue avec plus d’émotion. Qu’on se rappelle la Danaé de la galerie Borghèse, l’Antiope du Louvre, la provocante Léda de Berlin et surtout l’Io extasiée de Vienne : nul n’osa davantage sans sortir de la grâce, comme l’écrivait jadis M. Schuré dans cette Revue ; les toiles brûlent et frissonnent, mais la ferveur sauve l’audace.

Allegri est le peintre de l’allégresse. Son œuvre respire le bonheur intime ; elle est bien de celui qui signait parfois : lieto. Quoi qu’en dise Vasari, il est probable qu’il fut parfaitement heureux et que peu d’artistes eurent une telle unité de vie : un seul amour, sa femme ; une seule passion, son art. Entre eux, pendant neuf années, son existence calme et douce se déroula comme un beau songe. Après la mort de Geronima Merlini, il ne vécut plus que pour son œuvre, trouvant dans sa souffrance comme une force nouvelle. Qu’importe d’ailleurs que je ne puisse dire au juste pourquoi ses œuvres me ravissent ! Sais-je de quoi est fait le charme d’une rose qui s’effeuille, d’un reflet dans l’eau, d’un regard féminin ? Sais-je pourquoi certains vers, plutôt que d’autres, m’émeuvent jusqu’aux larmes ? Tant qu’il y aura des âmes ardentes, le Corrège les exaltera et nul séjour ne leur sera plus délicieux que cette ville de Parme tout embrasée encore par son génie.

Ah ! que d’heures déjà j’ai passées à la Pilotta, au couvent de San Paolo, à la cathédrale et à San Giovanni Evangelista ! Certes il est ici d’autres merveilles, comme le Baptistère, et d’autres bons tableaux au musée ; mais dans la ville du Corrège, je ne veux voir que ses œuvres et, même parmi elles, j’ai mes préférées. Je me doute bien que les plus étonnantes doivent être ces admirables coupoles où il put déployer à son aise tout son lyrisme, ces admirables coupoles qu’un marguillier imbécile compara à un plat de grenouilles, mais qui, au dire de Titien, renversées et remplies d’or, n’auraient pas payé le travail de l’artiste. Malheureusement, il n’est presque plus possible de les voir et ce sont des ouvrages moins considérables vers qui va d’abord mon pieux pèlerinage.

Le premier est, à San Giovanni Evangelista, le magnifique