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qui vous emportent irrésistiblement avec eux et vous embrasent de leur propre ardeur, une telle flamme jaillit de cette peinture que vous n’avez pas le temps de raisonner ni de comprendre votre trouble. Le grave Burckhardt lui-même parle d’ivresse, et va jusqu’à qualifier son émotion de démoniale, suivant le mot un peu barbare du traducteur. C’est que le Corrège est avant tout un poète. Les critiques peuvent discuter sur les influences qui le formèrent, hésiter entre Mantegna, Lorenzo Costa, Raphaël, Dosso ou d’autres, se demander s’il est ou n’est pas allé à Borne : ils n’expliqueront pas ainsi le Corrège, génie original qui ne doit rien à personne, à aucun enseignement, à aucune école, à aucune ville, et pour lequel on pourrait presque employer les mots de génération spontanée. Il a simplement laissé parler son cœur et exprimé, non par des sons, mais par des couleurs, toutes les musiques qui chantaient en lui. Parce qu’il n’eut d’autre maître que son inspiration, il fut l’un des plus originaux parmi les peintres. Nul n’a autant varié ; nul ne s’est si souvent modifié, sans autre explication que le caprice mouvant de son rêve de beauté, pour lequel il créait chaque fois les moyens d’expression que sa fantaisie lui inspirait.

Cet isolé naquit d’ailleurs dans l’une des villes italiennes les plus étrangères à tout mouvement pictural. La peinture ne commence guère à Parme avant la fin du XVe siècle et, vraiment, les quelques artistes que l’on cite paraissent barbares à côté de ceux qui travaillaient alors à Florence, Padoue, Venise ou Mantoue. Après le Corrège, nous trouvons du reste la même médiocrité. Son génie était trop personnel pour faire école ; aucun de ses imitateurs, sauf le Parmesan, ne put donner une seule œuvre intéressante. Il n’est pas d’exemple qu’un autre centre artistique, ayant eu un tel maître, ait produit aussi vite des ouvrages plus débiles et plus déplaisans.

Certains critiques sont sévères pour le Corrège et insistent surtout sur ce qui lui manque ; moi, je suis ému par cette âme toujours prête aux effusions, où les sensations arrivent ainsi que des ondes puissantes. Ah ! comme on devine la joie qu’il devait éprouver à peindre, à se donner tout entier à la profession enchantée, la mirabile e clarissima arte di pittura ! Avec cette vision si juste qu’ont souvent les poètes, Musset nous le montre

Travaillant pour son cœur, laissant à Dieu le reste.