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de l’Italie, depuis des siècles, toutes les ivresses du bonheur, l’appellent justement leur maîtresse. »

Ce qui m’étonne, par ce matin d’été si léger, c’est de ne pas rencontrer sur cette route plus de mouvement et de vie. A peine croisons-nous de loin en loin un automobile ou des groupes de travailleurs qui vont aux champs. Sans évoquer l’époque où les légions romaines secouaient ces mêmes pavés de leur pas lourd, ni les périodes troublées du moyen âge, combien devait-elle être amusante encore, il n’y a pas même un siècle, avec son incessant va-et-vient de voitures, de carrosses de gala, d’escortes de princes ou de cardinaux, avec ses troupes de soldats, de pèlerins ou d’étudians ! Nous croyons bien à tort que nous avons inventé les voyages. De tous temps, les routes latines furent parcourues par les artistes et les lettrés. Entre la France et l’Italie, des relations constantes se nouèrent, particulièrement à la Renaissance. Un séjour à Rome était alors, plus qu’aujourd’hui, le complément indispensable de toute bonne éducation, et l’on y venait pour développer son intelligence autant que son érudition. Montaigne recommande d’aller en Italie, non pour y apprendre « combien de pas à telle ou telle église, mais pour se frotter et limer la cervelle contre celle d’autruy. » C’était déjà la terre que choisissaient les amoureux et les poètes pour épancher leur joie ou crier leur douleur ; Maynard, le bon Maynard lui-même la prit pour confidente :


J’ai montré ma blessure aux deux mers d’Italie
Et fait dire ton nom aux échos étrangers.


Depuis le XVIe siècle, on ne compte plus les Français qui y ont épanoui leur génie et produit leurs chefs-d’œuvre. Et c’est à propos du Poussin et du Lorrain, qui tous deux ont vécu à Rome et y sont morts, que Chateaubriand a pu écrire : « Chose curieuse, ce sont des yeux français qui ont le mieux vu la lumière d’Italie. »

D’ailleurs, on voyait autrefois mieux qu’aujourd’hui. Même quand nous abandonnons le chemin de fer pour l’automobile, nous n’entrons pas en contact avec un pays. C’est dans un coche tranquille faisant quelques lieues par jour, ou, mieux encore, le bâton à la main, que l’on connaît vraiment une contrée. La pure volupté des voyages, ce furent les touristes des siècles derniers qui la goûtèrent : voilà pourquoi leurs récits me sont si familiers.