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lui apparaître pour la dernière fois sous cette forme distinguée. Mais elle ne devait jamais savoir l’effet que l’apparition avait produit, car cette lettre, comme celles dont elle cherchait à pallier l’impression, demeura sans réponse…


V

Deux années environ s’étaient écoulées.

Le soleil de printemps, sous la fraîcheur duquel Lizzie West avait tant de fois gravi dans la poussière les hauteurs de Saint-Cloud, de nouveau luisait au-dessus de la jeune fille, mais la scène et le décor avaient changé.

C’était aux Champs-Élysées, chez Laurent ; les rayons filtraient à travers la tête des marronniers sur le gravier des allées. Miss West, assise à une table dans cette enceinte élégante, arborait un chapeau mieux à même de soutenir l’examen que ceux dont s’abritait jadis l’institutrice de Juliette Deering.

La toilette était en rapport avec la coiffure, et l’une comme l’autre marquaient le rang d’une personne qui, entre mille loisirs, a celui de déjeuner chez Laurent un jour de vernissage. Ses compagnons des deux sexes confirmaient l’impression par leur mise et leurs manières ; c’étaient de ces riches Américains, dont tout l’effort est de n’omettre aucun rite de la grande vie désœuvrée de Paris. Andora Macy elle-même, assise en face de miss West, comme pour l’assister dans son rôle de maîtresse de maison, reflétait discrètement en gris et mauve cette note de fête.

Cet air de fête semblait frapper particulièrement un homme attablé seul à l’angle le plus reculé du jardin, et dont les yeux ne quittaient pas le groupe ; mais le fait de déjeuner chez Laurent en compagnie élégante n’avait pour miss West rien d’insolite, sinon la petite excitation que la présence de M. Jackson Benn commençait à communiquer à ces réunions.

— C’est extraordinaire comme vous vous y êtes habituée, observait Andora Macy dans les premiers jours de cette vie nouvelle.

En effet, Lizzie West s’était un matin réveillée riche, par l’héritage d’un vieux cousin avare dont le testament avait été, quand elle était tout enfant, un sujet de plaisanteries sans fin et de conjectures dans son imprévoyante famille. Le vieil Hezron Mears n’avait jamais donné signe de vie à ses parens pauvres ;