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avant tout. » Il n’était pas jusqu’aux dispositions mêmes de l’Empereur dont il ne fût inquiet : on envoyait à Guillaume certains journaux avancés, qui lui donnaient lieu de craindre qu’on ne revît bientôt des scènes révolutionnaires, comme en 1848. « La lutte ne marche pas, disait mélancoliquement la Nouvelle Presse libre de Vienne, un pouvoir très auguste retient le bras qui était levé tout prêt à un combat d’anéantissement contre Rome. »

Mais le bras de Bismarck n’acceptait plus d’être retenu. Céder à son royal maître, passe encore ; mais céder au commun désir de son royal maître et des conservateurs, jamais ! Il fallait que les Seigneurs capitulassent ; Bismarck le voulait. Il échangeait avec l’un d’eux, Senfft de Pillach, des lettres qui n’étaient plus seulement des adieux politiques, mais des anathèmes religieux. Senfft de Pillach invitait Bismarck à l’humilité, lui faisait craindre le jugement de Dieu. Alors Bismarck le priait de prêcher l’humilité aux « ennemis du gouvernement, » et cela voulait dire : aux conservateurs. « L’humilité de votre Rédempteur, insistait le chancelier, leur est devenue si étrangère, que leur bon sens est enténébré par la colère, et que, dans un esprit tout païen de coterie et de domination, ils considèrent comme leur mission de régner sur la Prusse et sur l’Église évangélique ; en fait, ils les ébranlent l’une et l’autre jusqu’aux racines, pour le plus grand profit des puissances étrangères. » Et Bismarck couronnait son insolence en renvoyant Senfft de Pillach à deux psaumes dont l’un flétrissait le pharisaïsme, dont l’autre annonçait la défaite des ennemis.

Le 4 avril, ce dernier psaume se vérifiait en faveur de Bismarck : la Chambre des Seigneurs approuvait les adjonctions à la Constitution : et puis comme, dans la Commission, partisans et adversaires du projet disposaient de forces égales, la Chambre des Seigneurs finit par se passer d’elle. « L’opinion publique, lisait-on le 4 avril dans la Correspondance provinciale, saura distinguer avec une sévère vigilance, dans la représentation du pays, les élémens qui doivent être considérés comme des forces de conservation véritable pour l’Etat, et ceux qui doivent être évincés comme des obstacles pour le développement national. » La Chambre des Seigneurs n’avait pas envie d’être évincée. Le 5 avril, Bernuth, ancien ministre de la Justice, proposa qu’elle discutât elle-même les projets. Régulièrement, on n’aurait dû voter