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paragraphes législatifs qu’il avait si soigneusement mis au net.

Mais pouvait-on savoir, à Rome, toutes les variations d’humeur de Bismarck ? On y percevait l’écho des campagnes de presse qui se poursuivaient contre l’Église ; on y écoutait la Gazette de Spener accuser les ultramontains d’ignorer l’obéissance civique et d’être « les ennemis nés de tout ordre moral dans l’État. » Ces bouillonnemens de haine antireligieuse s’étalaient et faisaient tapage. Encore quelques semaines, peut-être, et leur fureur inefficace n’aurait plus rappelé que le suprême adieu des vagues qui, sur le rivage trop souvent battu, projettent une dernière écume, blanche et tumultueuse encore, avant de se retirer. Mais comment Pie IX pouvait-il s’en douter ? et qui donc eût pu lui dire que Bismarck était comme démonté ? Le 23 décembre, le Pape tenait un consistoire : il y dénonça, dans une allocution solennelle, les persécutions atroces que souffrait l’Église en Allemagne, les efforts qu’on y faisait pour la renverser de fond en comble, l’impudence des hommes qui faisaient un crime aux évêques, aux prêtres et aux fidèles, de préférer aux lois de l’Empire les lois de Dieu. Ces propos eurent tôt fait de franchir les Alpes ; la Gazette de Spener traita Pie IX de « nouveau Benedetti, qui avait offensé Guillaume comme le Corse l’avait fait à Ems ; » la presse allemande reçut défense de reproduire certaines lignes du discours pontifical ; trois catholiques, qui télégraphièrent au Pape leurs complimens, furent déférés aux tribunaux ; certains journaux d’Italie insinuèrent complaisamment qu’on pourrait poursuivre le Pape pour injures contre un souverain étranger. Alors Stumm, qui gérait encore à Rome l’ambassade de l’Empire auprès du Pape, reçut le 30 décembre un congé illimité ; entre Bismarck et Pie IX, les rapports étaient à jamais rompus ; et derechef, pour longtemps cette fois, l’énergie bismarckienne était cabrée.


VI

C’en fut fait, tout de suite, de la dépression nerveuse du chancelier. Il sentit qu’à la Cour les partis militaires affectaient d’être offusqués par le discours de Pie IX ; que, dans les fourreaux, les épées s’impatientaient. Quel dommage que le Pape fût un roi sans terre ! Du moins y avait-il un terrain sur lequel on pouvait encore l’ennuyer ; c’était celui de la théologie. Tout