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politiques, les nationaux-libéraux, devait prévenir un tel péril, car bientôt, dans chacun de ces arrondissemens, siégerait un conseil élu qui assisterait le Landrat, le surveillerait, et l’entourerait de certains délégués permanens : ainsi se glisserait, dans la citadelle conservatrice de l’administration provinciale, le parti national-libéral, et l’application rigoureuse des lois futures serait par-là même assurée. La question religieuse était l’une des raisons qui motivaient et qui accéléraient cette réforme profonde ; l’urgence d’une lutte contre les prêtres était l’une des considérations pour lesquelles la vie politique traditionnelle de la Prusse allait changer d’aspect. Le bouleversement semblait si radical, qu’on ne pouvait espérer que la Chambre des Seigneurs l’acceptât ; on fit une « fournée » de vingt-quatre pairs, et la réforme fut votée. La même semaine où les nationaux-libéraux applaudissaient aux cris de guerre de Falk leur ménageait ce triomphe sur le conservatisme prussien, et ce triomphe même faciliterait l’offensive antireligieuse.

Déjà l’on piétinait incongrûment, mais allègrement, les prochaines victimes. « Si l’Eglise survit au combat qu’on lui va livrer, avouait au curé Simon un fonctionnaire franc-maçon, je me ferai catholique. » Dans les cercles politiques de Weimar, on parlait de marier les prêtres et de dresser les nonnes pour une scène comme dans Robert le Diable. « On n’aura la paix en Allemagne, proclamait à Munich Werthern, ministre de Prusse, que lorsque tous les évêques seront sous les verrous. »


V

Mais c’étaient là des griseries, plus encore que des décisions, et pour que cessassent subitement ces triomphans sarcasmes, ce fut assez d’une rumeur qui circula dans la première quinzaine de décembre, et d’après laquelle Bismarck était las du pouvoir. Lui seul, vainqueur de l’Autriche et vainqueur de la France, pouvait être vainqueur des prêtres. Tout dès lors parut remis en question. Il y avait du vrai dans cette rumeur ; Bismarck n’en pouvait plus. Le coup mortel peut-être qu’il avait asséné au vieux conservatisme prussien avait produit, sur lui-même et contre lui-même, un étrange choc en retour : d’avoir démantelé la vieille Prusse féodale, d’avoir ainsi achevé la rupture avec ses anciens amis, cela tout d’un coup l’avait affaissé. Pour la