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En Hesse, également, l’avènement du ministère Hofmann sanctionnait la défaite des idées « ultramontaines ; » le Cabinet badois, pour agir selon le cœur de Bismarck, n’avait qu’à demeurer fidèle à la politique suivie à Carlsruhe dans les vingt dernières années ; et quant au Wurtemberg, coupable d’être une oasis de paix religieuse, les Grenzboten lui infligeaient de sévères avertissemens. Une certaine orthodoxie civique s’installait en Allemagne ; hors d’elle, il n’y avait plus de bons Allemands. Elle se définissait l’esprit unitaire ; elle se reconnaissait à des signes expressément définis : il fallait être antifrançais, antiguelfe, antipolonais, mais surtout antiromain ; et la passion croissante de Bismarck contre l’ennemi « ultramontain, » suivant qu’elle rencontrait des docilités ou des résistances, accordait ou marchandait les brevets de civisme.


III

Au jour le jour, certains politiciens, frottés de théologie évangélique, échauffaient cette passion et, tant bien que mal, s’évertuaient à en fixer les caprices et à en prolonger les élans : ils s’appelaient Abeken, Wagener, Roesler ; ils croyaient connaître le terrain d’Eglise et le connaissaient plus mal encore que Bismarck. Improvisé diplomate après avoir joué un grand rôle dans les destinées de l’évangélisme prussien, Abeken n’avait que mépris pour les évêques, qui s’étaient soumis au « pape infaillible, ennemi de toute vie et de toute culture ; » il inspirait à Bismarck la mésestime pour ces volontés épiscopales qui avaient fléchi, et lui donnait l’illusion de leur faiblesse. Wagener avait caressé le rêve archaïque d’un primat de Germanie dirigeant, en face de Rome, avec le strict respect mérité par Rome, une Église de Germanie, et Wagener considérait la centralisation romaine comme un échec pour son imagination personnelle. Quant au publiciste Constantin Roesler, dont la brochure de 1859 sur la question italienne avait été attribuée à Bismarck lui-même et qui fut peut-être, parmi ses compatriotes, le premier de tous à discerner le génie du futur chancelier et à pronostiquer sa gloire, il avait gardé, de certaines études de théologie faites à Halle, un penchant audacieux à s’occuper des choses religieuses : il rêvait d’une Eglise nationale qui rajeunirait le christianisme et qui mettrait au service de l’Etat allemand, menacé par Rome,