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façon de les abattre ; ils formaient l’état-major de campagne que Bismarck, suivant les instans, consultait ou négligeait. Sa colère procédant par soubresauts, hâtive et puis hésitante, fiévreuse et puis assoupie, empruntait certaines munitions à leur arsenal, et certaines combinaisons à leur stratégie ; mais ces emprunts eux-mêmes avaient quelque chose de fortuit, d’épisodique, de désordonné ; l’offensive anticatholique du chancelier semblait peu soucieuse d’adopter une méthode précise, et de se développer avec suite et continuité. On eût dit qu’il luttait pour intimider plutôt que pour vaincre.

C’est durant le second semestre de 1872 qu’il commença de concerter une série d’assauts contre la hiérarchie ecclésiastique : les droits des évêques allaient -être délibérément attaqués, attaqués à coups de lois. Ses diplomates visaient toujours la papauté, mais sans réellement l’atteindre : l’essai d’un Culturkampf international allait lui ménager échec sur échec. Ses féaux du Parlement visaient toujours le Centre, mais ne faisaient que le fortifier : les élections successives allaient leur réserver d’incessantes défaites. Ses légistes, eux, visaient l’épiscopat ; ils allaient le frapper, le disloquer, le décimer, multiplier les ruines matérielles, se heurter à des inflexibilités morales, désorganiser l’Eglise, mais, en même temps, affaiblir la nation, accumuler enfin des victoires législatives et policières qui devaient être des leurres, et que Bismarck, finalement, se retournant vers le Pape, — vers un autre Pape, — essaierait de réparer comme l’on répare des désastres.


I

Le 24 juin 1872, Pie IX recevait une députation d’Allemands, pieux et militans : il leur conseillait de faire opposition aux persécuteurs, de vive voix et par écrit, avec respect et fermeté.


J’ai fait dire à M. de Bismarck, ajoutait-il, — et vous pouvez le répéter à tout le monde, — qu’un triomphe sans modestie s’évanouit, qu’un triomphe suivi de la persécution contre l’Église est la plus grande des folies ; je lui ai fait demander comment ces catholiques, dont naguère l’État prussien se déclarait satisfait, sont devenus tout à coup des rebelles, des conspirateurs. J’attends la réponse. Je ne l’ai pas encore reçue ; peut-être parce qu’il n’y a rien à répondre à la vérité. Au reste, élevons nos regards vers Dieu exaltons notre solide confiance, tenons-nous bien unis ; qui sait si bientôt ne se détachera pas la petite pierre qui mettra en miettes le pied du colosse ?